Les contrebandiers de l'ombre

broussailles, jusqu'au pied de quelques marches d'escalier, et, de là, directement dans le pavillon de chasse. Un panneau de bois amovible, dans le corridor menant aux cuisines, cachait l'entrée de ce passage secret. Ce fut dans le couloir que Kirby les surprit, pensant qu'ils s'étaient glissés par la porte de derrière, alors qu'ils venaient tout juste de replacer le panneau dans son cadre.

    Chapitre 31

    D'épaisses volutes de fumée noire s'élevaient lentement au-dessus de Merdraco. Vues à distance, les flammes cuivrées sur un fond d'indigo donnaient l'impression de danser une ronde macabre au milieu de la cour, foulant au pied les squelettes calcinés des tables, des chaises et des coffres entassés dans cet immense brasier funéraire destiné à laver Merdraco de la profanation. Dante Leighton, tout près du feu, se régénérait à la chaleur de ce sacrifice rituel. Merdraco, tel le phénix, allait renaître de ses cendres.
    Avec satisfaction, il rejoignit les travailleurs venus de Marleigh qui s'étaient présentés avec ponctualité au petit matin. Dante venait de leur distribuer les meubles encore utilisables qu'ils désiraient prendre pour eux.
    Quand ils étaient entrés dans le château, aucun d'eux n'avait caché son indignation. Aucun d'eux non plus n'ignorait l'identité du responsable.
    Parmi ces hommes, certains venaient de Westlea Abbot, envoyés par sir Jacob, d'autres étaient d'anciens fermiers de sir Miles. Le masque séducteur de ce dernier avait fini par craquer.
    Dante Leighton trouva ce jour-là le courage d'entrer dans la chapelle où étaient enterrés ses parents et de se recueillir sur la tombe de sa mère. Il pouvait se présenter la tête haute aujourd'hui, mais n'était-il pas trop tard ? Avant une semaine, on entendrait les marteaux et les scies à travers les couloirs de la grande demeure. De Londres viendraient les architectes les plus renommés pour redessiner les plans intérieurs, des forgerons pour les rampes, balustrades et garde-fous, des ébénistes pour les marqueteries. Tapis et tentures seraient livrés par la suite, les vitres remplacées. Pelouses et haies seraient taillées, les jardins et les vergers ramenés à la vie par une armée de jardiniers. La tâche était lourde et les journées passeraient vite.

    Au dessert, ce soir-là, la discussion dévia de la description truculente de Bertie Mackay, un contrebandier des Antilles qu'ils avaient roulé bien des fois, à la visite que venait de rendre Alastair Marlowe à Seawick Manor, pour rendre Bristol Boy à sa propriétaire.
    Evidemment, le subrécargue était parti moins pour rencontrer la propriétaire que sa fille.
    Dante se demanda sérieusement quelle serait la vie du pauvre Alastair avec Bess Seacombe comme belle-mère. Mais, d'un autre côté, il était content de voir son ancien second courtiser la jeune Anne plutôt que de tourner autour de Rhea comme une âme en peine.
    — J'ai eu l'impression de faire face à l'Inquisition, avoua Alastair. C'était vraiment comme si lady Bess voulait tout savoir de vos faits et gestes, capitaine.
    — Je suis sûr qu'Anne Seacombe a dû être impressionnée par tes années de mer, et surtout de course. Lui as-tu dit comment tu as signé le rôle à mon bord ?
    — Effectivement, et lady Bess a trouvé cela très amusant.
    — Je suis sûr aussi que les dames ont pu évaluer le danger que tu as couru, Alastair, fit remarquer Francis sur le même ton que son beau-frère.
    — Lady Bess voulait toujours en savoir plus. Elle apprécie beaucoup ces histoires sanglantes.
    Je n'étais pas très certain de devoir continuer...
    — Cela m'étonne de voir Anne Seacombe aussi sensible, remarqua Dante, qui retrouvait chez la fille de Bess la chaude sensualité de sa mère. Elle n'est pas très expansive, mais le caractère impulsif de sa mère doit bien se cacher là-dessous.
    — Oui, j'ai eu la même pensée, répondit Alastair avec empressement. Elle semblé aussi très mûre pour son âge. Enfin... quinze ans, ce n'est pas si jeune !
    Le jeune homme chercha une confirmation dans le regard de ses voisins. Rhea fut brusquement frappée de stupeur en réalisant, pour la première fois, que leur ami était amoureux d'Anne Seacombe.
    — Anne Seacombe... Oui, c'est une fille diantrement jolie, n'est-ce pas ? déclara Francis en fixant le jeune Marlowe. La prochaine fois, je vous accompagnerai peut-être.

    Alastair Marlowe n'en menait pas large : que pourrait-il faire en