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Les Dames du Graal

Les Dames du Graal

Titel: Les Dames du Graal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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en référer à son épouse. En revanche, lorsque la femme possède davantage que son mari, elle dirige tout, ne laissant à l’homme aucune possibilité de s’insurger. Tout cela est le reflet d’une société archaïque dans laquelle le rôle de la femme n’était pas soumis à la volonté des mâles. Mais il ne s’agit aucunement de « matriarcat » ; il s’agit seulement d’égalité devant la coutume et devant la fortune , celle-ci étant, comme chez tous les peuples de l’Antiquité primitive, exprimée le plus souvent en nombre de têtes de bétail.
    Avant d’engager la guerre, la reine Maeve tente d’acheter le taureau convoité. Elle envoie un messager le demander moyennant une forte compensation et, en outre, en proposant l’amitié de ses cuisses . La tentative d’arrangement ayant échoué, elle réunit son armée, et pour se concilier l’un des guerriers les plus redoutables de l’époque, le héros Fergus, elle n’hésite pas à coucher avec lui. Or, lorsqu’un serviteur vient dire au roi Ailill qu’il a surpris les deux amants en flagrant délit, celui-ci, pourtant saisi de jalousie, lui répond que c’était une chose nécessaire pour assurer le succès de l’expédition. Cela n’empêchera d’ailleurs pas Ailill, beaucoup plus tard, de se venger cruellement en tuant traîtreusement Fergus.
    Les péripéties racontées dans les manuscrits irlandais sont une illustration de la faiblesse du roi de type celtique. Il n’est rien sans la reine. Dans le surprenant récit de l’Ivresse des Ulates , alors que la bataille fait rage entre les hommes d’Ulster et ceux de Connaught, du fait même de la volonté de Maeve, on voit le roi Ailill, complètement désemparé, se tenir à l’écart de ce combat qu’il désapprouve formellement. Et comme l’engagement tourne au désavantage des guerriers de Connaught, Ailill fait ce commentaire significatif : « J’ai entendu dire qu’il n’y avait pas en Irlande de guerriers qui fussent égaux (aux Ulates), mais je vois que les gens de Connaught et de Munster ne commettent aujourd’hui que trahison. Il y a longtemps qu’un proverbe dit qu’ on ne gagne pas de bataille sans la présence d’un roi . Si c’était autour de moi qu’était livrée la bataille, elle ne durerait pas longtemps. Vous voyez que je n’ai aucun pouvoir sur eux. »
    Le constat est simple : le roi ne peut rien ordonner à ses guerriers, mais une bataille ne peut être gagnée sans qu’il soit présent, même s’il ne participe pas lui-même au combat. Et ce combat n’a pas été décidé par lui. C’est la toute-puissante Maeve qui en est l’instigatrice, au risque d’infliger à son armée la pire des défaites. Dans ce schéma archaïque, on finit par reconnaître les règles du jeu d’échecs. La partie se joue avec les pions, les cavaliers, les tours et les fous tandis que le roi demeure inerte, vulnérable certes, mais protégé le mieux possible. Par contre, la reine peut se déplacer comme elle veut, elle a tous les pouvoirs, ce qui n’empêche nullement le roi d’être au centre de l’épreuve puisque, lorsque le roi est mis « échec et mat », la partie est perdue.
    Il y a, dans le très beau mais discutable film de John Boorman, Excalibur , une séquence révélatrice de l’impact provoqué par la toute-puissance de la reine, détentrice de l’autorité, sur l’imaginaire artistique de cette fin de XX e  siècle. Le royaume d’Arthur est à la dérive, et le roi lui-même est malade depuis que Guenièvre n’est plus à la cour, depuis qu’il n’a plus l’épée de souveraineté à sa disposition. Or, après la révélation du secret du Graal par Perceval – selon l’interprétation particulière qu’en donne Boorman –, le roi se décide à agir. Il retrouve alors Guenièvre réfugiée dans un monastère, qui lui remet Excalibur qu’elle avait pieusement conservée. La séquence est fort émouvante, mais le symbole est très clair : si l’épée de souveraineté a été confiée au roi par la Dame du Lac, c’est la reine qui en est la gardienne et la protectrice attitrée.
    Un autre constat s’impose : le mythe celtique rejoint exactement cette fin’amor tant à la mode au moment où furent rédigés les récits arthuriens. Il faut écouter certains troubadours, comme Bernard de Ventadour : « Je n’ai plus eu sur moi-même aucune puissance depuis le jour où elle me permit de me regarder dans ses yeux , dans ce

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