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Les Dames du Graal

Les Dames du Graal

Titel: Les Dames du Graal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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miroir qui tant me plaît. » Quel aveu ! L’amant n’a conscience de lui-même qu’en se découvrant dans les yeux de la Dame, mais comprend alors qu’il ne peut rien par lui-même. Un autre troubadour, Arnaut Daniel, dit également. « Chaque jour je deviens meilleur et je m’affirme, car je sers et révère la plus gente dame du monde. » On croirait entendre Lancelot avouer que sa grande valeur lui vient uniquement de l’amour de Guenièvre. C’est ce qu’avaient compris également les poètes baroques au XVI e  siècle lorsqu’ils présentaient le poète-amant littéralement flétri le matin avant le lever du soleil et « se recréant aux rayons des yeux » de la femme aimée, celle qu’on appelait alors la « Belle Matineuse », dont la beauté éclipsait la lumière du soleil.
    Telle est Guenièvre, non seulement aux yeux de Lancelot mais à ceux d’Arthur, et sans aucun doute aux yeux des nombreux amants qu’on lui suppose dans la tradition primitive. Le thème de la « Reine infidèle » est répandu dans tous les récits celtiques ou d’origine celtique. Il recouvre une réalité biologique, sociale et en quelque sorte métaphysique. Rien n’est gratuit dans ces histoires d’adultères : elles pouvaient choquer les lecteurs, mais elles étaient quand même acceptées par la censure morale qu’exerçait l’Église sur les clercs, preuve qu’elles correspondaient à quelque chose de plus profond, de plus essentiel, et qu’elles n’étaient en fait que des structures symboliques.
    Il y a en outre, dans ces histoires de reines adultères – et cela est paradoxal –, un enseignement moral. Si, par exemple, on décrypte la célèbre scène du Chevalier de la Charrette où le héros doit, pour retrouver la trace de Guenièvre, monter dans la charrette d’infamie, on y décerne non seulement une analyse psychologique très fine, mais une leçon de morale digne du christianisme le plus austère. Au moment de monter dans la charrette, Lancelot est perplexe et il hésite une fraction de seconde : « C’est pour son malheur qu’il tarda, pour son malheur qu’il eut honte et s’abstint de sauter aussitôt… Raison, en désaccord avec Amour, l’exhorte à se garder de faire un pareil saut, le sermonne et lui enseigne à ne rien entreprendre où l’opprobre s’attacherait à lui. Raison n’a son séjour que sur ses lèvres : elle se risque à lui parler ainsi. Amour est dans le cœur enclos : il lui donne un ordre et un élan. Bien vite, il faut monter dans la charrette. Amour le veut : le chevalier y bondit. Que lui importe la honte, puisque tel est le commandement d’Amour » (trad. J. Frappier).
    Cette dernière phrase est essentielle : pour l’amour de sa dame, tout doit être accompli, sans aucune restriction. L’hésitation passagère de Lancelot lui sera durement reprochée plus tard. Le voici donc sur la charrette, traîné par les villes et les villages, copieusement honni et conspué. Pendant ce temps, Gauvain, qui, lui, a franchement refusé de monter sur la charrette, suit celle-ci sur son propre cheval. « En d’autres termes, écrit à ce propos Charles Méla, et cela ne peut être compris de Gauvain, le chevalier a voulu le sort funeste de sa déchéance ; il s’est justement aventuré là où commencent les raisons de haïr sa vie, d’être en guerre avec soi-même, de commettre des actes insensés. Car son infamie lui livre accès à l’impossible de sa jouissance. Mais s’il a choisi cette voie, à quel prix peut-il la soutenir, sans succomber, comme il s’en fallut ici de peu, à sa tentation ? La honte apparaît profondément ambivalente parce que Lancelot en a décidé tout autant qu’il l’a subie : si elle dispose à transgresser le désir, elle n’en maintient pas moins le héros comme en retrait par rapport à lui-même. L’extase ou l’ironie. Sans la honte, Lancelot n’eût pas connu la première ni joué de la seconde. La démesure de l’amant n’a en lui d’égale que la parfaite modération du chevalier {61} . » Et pourtant, maintenant, Lancelot se sait misérable . Il s’agit bel et bien d’une humiliation , la reconnaissance de sa faiblesse en même temps que de son allégeance à une puissance supérieure, en l’occurrence Guenièvre, mais qui peut tout aussi bien être la Vertu, ou Dieu lui-même.
    Désormais, face à Guenièvre, Lancelot est capable de l’ impossible . C’est ainsi que se forment les héros,

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