Les Dames du Graal
entrée, cachée, dérobée, secrète mais pourtant ouverte à tous, qui permet d’accéder au Saint des Saints, au centre du Labyrinthe, là où les antinomies ne sont plus perçues comme telles, et où s’opère la fusion de l’âme et du corps, du réel et de l’imaginaire, du ciel et de la terre, du visible et de l’invisible. La leçon est forte. Pourquoi n’a-t-on pas jusqu’à présent donné à cet épisode l’importance qu’il mérite ?
Car la Fille de Merlin, si elle n’apparaît que dans ce seul texte, est la grande prêtresse de ce périple initiatique qu’est la Quête du Graal. Telle la Velléda imaginée superbement par Chateaubriand et telle une de ces soi-disant druidesses de l’île de Sein qui hantent l’imagination fébrile des Romantiques, la Fille de Merlin, dépositaire des secrets de son père, est la maîtresse toute-puissante de la Foudre.
Malheur à qui passe auprès de la Colonne de Cuivre sans rendre à la Demoiselle de la Cime les honneurs qui lui sont dus, car elle est aussi l’image de la Déesse des Commencements, celle qui veille en permanence sur la communauté humaine et qui guide les héros qui ont fait leurs preuves vers l’achèvement des aventures.
CHAPITRE V
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L’Impératrice
Le personnage de l’Impératrice n’apparaît que dans un seul texte, le récit gallois de Peredur , version insulaire archaïque et populaire du conte oral qu’a recueilli Chrétien de Troyes et qu’il a transcrit et adapté dans son Perceval ou le Conte du Graal . Le héros, qui s’appelle ici Peredur, mais qu’on reconnaît comme étant identique à Perceval, va rencontrer, au cours de sa recherche effrénée du Château des Merveilles – le Château du Graal –, des aventures qui sont autant d’épreuves qu’il doit surmonter pour parvenir à son but. Peredur se retrouve ainsi à la cour du « Roi des Souffrances » où il n’aperçoit que des femmes. Il est alors témoin d’une étrange scène, voyant « venir un cheval portant en selle un cadavre. Une des femmes se leva, enleva le cadavre de la selle, le baigna dans une cuve remplie d’eau chaude qui était plus basse que la porte, et lui appliqua un onguent précieux. L’homme ressuscita, vint le saluer et lui montra joyeux visage. Deux cadavres arrivèrent encore portés en selle. La femme les ranima tous les deux de la même façon » (trad. J. Loth).
Il est évident que cette scène, imprégnée de mythologie celtique païenne, a des rapports étroits avec le « saint » Graal chrétien qui guérit les corps et procure la vie éternelle. Peredur, moins sot que Perceval dans le récit de Chrétien de Troyes, demande des explications, et on les lui fournit. Il apprend ainsi qu’un addanc , un monstre indéfini qui doit ressembler à un serpent ou à un dragon et qui se cache dans une grotte, tue chaque jour les fils du Roi des Souffrances, mais que ceux-ci sont ranimés à chaque fois par la vertu de l’onguent et du bassin dans lequel sont plongés les corps des défunts. Peredur propose alors à ses hôtes de faire cesser cette coutume et d’aller jusqu’à l’antre du monstre afin de le combattre et de le tuer.
Il quitte donc la cour du Roi des Souffrances, suivant les trois fils qui vont combattre l’ addanc . Mais il les perd de vue, s’égare et ne sait plus où aller. À ce moment, il aperçoit, « assise sur le haut d’un mont, la femme la plus belle qu’il eût jamais vue ». Il faut dire que Peredur tombe facilement amoureux de toutes les femmes qu’il rencontre. Mais celle-ci sait qu’il va se battre contre l’ addanc et lui prédit qu’il sera tué « non par vaillance, mais par ruse. Il y a, sur le seuil de sa grotte, un pilier de pierre. Il voit tous ceux qui viennent sans être vu de personne, et devant l’abri du pilier, il les tue tous avec un dard empoisonné » (trad. J. Loth). Vient ensuite, de la part de l’inconnue, une proposition inattendue mais fort alléchante. « Si tu me donnais ta parole de m’aimer plus qu’aucune autre femme, je te ferais don d’une pierre qui te permettrait de le voir en entrant sans être vu de lui. »
Évidemment, Peredur n’hésite pas un instant : il lui donne sa parole qu’il l’aimera plus que toute autre. Il n’est d’ailleurs pas à une promesse près, car il fait la même à toutes les femmes qu’il rencontre. Il faut cependant remarquer que cette promesse contient les termes « plus que toute autre »,
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