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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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ici ?
    — Tu rigoles ! Le canon, il y a quatre mois qu’on le cherche. On est d’abord allé au camp de la Valbonne. On est resté trois semaines. Il n’y avait pas de canon. On est donc revenu au G. U. P. Ensuite, on est allé au camp de la Courtine, entraînement spécial des antichars. On a attendu quinze jours, un mois. Tous les matins, le canon allait arriver. Enfin, au bout de deux mois, on est encore revenu au G. U. P. On n’avait pas vu le canon. Nous serons peut-être comme ça section du canon de 25 sans canon pendant toute la guerre. Faut pas se frapper.
    J’ai retrouvé dans une poche de ma veste les lettres héroïques aux amis de Paris. Ma foi ! j’attendrai un peu pour les terminer.
    * * *
    Je suis pauvre. J’ai mille francs en poche qui doivent durer longtemps. Je me suis mis à la gamelle. Il faut d’ailleurs m’y habituer. Elle est réellement innommable. On s’en doutait à voir l’antre nauséabond, entre les chiottes et la charognerie, où une demi-douzaine de voyous avinés perpètrent leurs brouets. Ils nous jettent en hurlant par un guichet des portions de colle ou d’eau sale, avec du pain vert de moisissure. On s’efforce d’avaler cela, entassés dans une effroyable sentine décorée du nom de réfectoire, quelques piliers de bois et quelques lattes dressées sur un tas d’ordure, et où la triste vinasse se fige dans les quarts. Les Arméniens et beaucoup de paysans se battent ignoblement autour des pitances. L’hygiène réglementaire est assurée par un balai qui pourchasse sur le sol les crachats, la boue, la crotte, et dont on essuie incontinent les morceaux de planches sur lesquels on va manger. Je ferme le nez, les yeux ; pour apprécier mon sort, je pense aux camarades en train de tenir les avant-postes d’Alsace par moins trente degrés.
    Les fascicules bleus débarquent toujours par flots. Voilà six jours que nous menons cette écœurante existence de faux civils, rôdant avec nos valises aux poings à travers notre chiourme, accroupis au milieu des toiles d’araignées et des vieilles boîtes de conserves, somnolant sous une méchante couverture que nous devons du reste à la charité des copains, dans l’attente d’un ordre, d’un avis quelconque, d’une bribe d’indication. Les hommes commencent à convoiter une capote qui leur tiendrait du moins un peu plus chaud que leurs vestes râpées et leurs bourgerons.
    L’échoppe des gardes-mites fait maintenant recette. Elle livre de temps à autre à la circulation d’ahurissants fantoches, un Arménien dans une souquenille bleue qui dut faire Verdun et la Somme, surmontée de la casquette du gaillard, un paysan en culotte de golf kaki et chapeau noir. Mais il faut en finir. Je veux dépouiller mon enveloppe de pékin transi. Il sera d’ailleurs dit que je déciderai absolument seul tous les actes essentiels de ma vie militaire. Après une vaine journée de tentatives, j’ai enfin séduit un brave caporal du magasin : « Allons, viens ! me dit-il avec une tendresse fraternelle. Je vais t’habiller », comme on le dirait à un vagabond presque nu.
    Le magasin déborde d’effets flambants neufs. Malheureusement, les vareuses sont toutes taillées pour des colosses mythologiques de deux mètres de haut, et larges en conséquence. Quant aux culottes, elles conviendraient pour le rayon des écoliers. On essaie donc de se vêtir en remuant des ballots de hardes d’où s’échappent des nuages d’une poussière charbonneuse. La vareuse qui m’échoit, aux doublures bordées de crasse, ornée d’énormes boutons en métal jaune, descend en me boudinant presque jusqu’aux genoux. Par contre, sous les bras, elle me serre à m’étouffer. Les molletières sont des lambeaux de chiffons effilochés. Le pire, c’est la culotte, cette défroque tachée de cambouis, cette braguette noire. Une vaste capote à peu près propre sert de cache-misère. On fait d’émouvantes littératures sur l’armée française couleur de sillon. Ma capote est exactement de la couleur du crottin frais. Quant à l’illustre béret, que je m’étais fièrement réjoui de porter, c’est la « tarte » poussiéreuse et déteinte qui me pend jusque sur l’épaule.
    Ainsi fait, je pars incontinent en corvée volontaire. Notre mission est de rapporter des couvertures que l’on va se décider enfin à nous distribuer. En guise de couvertures, nous nous trouvons devant des fins de coupe de tailleurs. Pour se

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