Les Décombres
déjà le goût du grec, et l’hôtel del ’Action Française, rue du Boccador, abrité un triomphant commissariat du peuple.
Nous découvrions chaque semaine un peu plus le robuste et tenace réalisme de Hitler, tranchant si éloquemment sur les logomachies et les conciles de chez nous :
« Il ne faut pas s’attarder aux froissements passés lorsqu’on veut faire une politique d’alliances ; celle-ci n’est féconde que si l’on sait profiter des leçons de l’histoire… On ne trouve pas d’homme d’État, qu’il soit anglais, américain ou italien, qui ait jamais déclaré être anglophile. Tout homme d’État anglais est naturellement d’abord Anglais, tout Américain est avant tout Américain, et il n’y a pas d’Italien qui soit prêt à faire une autre politique qu’une politique italianophile. Quiconque prétend bâtir des alliances sur les dispositions germanophiles des hommes d’État importants de telle ou telle nation étrangère, est un âne ou un menteur. La condition nécessaire pour que les destinées de deux peuples soient liées, ce n’est pas l’estime ou la sympathie réciproques, c’est la perspective des avantages que chacun d’eux retirera de l’association. »
Quel vigoureux écho à mon cher Machiavel !
Était-il nécessaire que la fameuse philippique de Mein Kampf contre la France, écrite en plein jurisme poincariste par un soldat vaincu, nous cachât éternellement tant d’autres pages où cet homme proclamait la stérilité de la lutte entre la France et l’Allemagne, et fixait au peuple germain son vrai terrain de conquête, l’Est, la Russie, voie des Chevaliers teutoniques ?
Le destin le plus profondément souhaitable, pour nous et l’Europe entière, n’y était-il pas inscrit ? Puisque les démocraties, contre nos plus puissantes objurgations, avaient tout fait pour que l’Allemagne retrouvât sa force, il faudrait bien maintenant admettre que cette force s’employât quelque part. Si les Germains, étouffant sur un sol trop étroit, reprenaient leurs chariots d’invasion et fondaient sur l’Orient slave, ne serait-ce point pour eux et pour nous le meilleur exutoire, un but autrement accessible que la prussianisation de la Touraine ou de la Bretagne, et au surplus, l’écrasement du bolchevisme ? Qui défendait de concevoir une diplomatie française détournant par de solides assurances leur masse de ce côté-là ?
Nos rendez-vous du vendredi soir, dans une triste brasserie de Denfert-Rochereau apparaîtraient aujourd’hui encore, si nous avions été assez fats pour en tenir registre, comme une école de la sagesse politique. Nous savions qu’entre les fameuses condamnations morales des États-Unis et leur aide effective, il y aurait toujours les interminables palabres d’une république parlementaire, les répugnances de cent millions d’Américains, les dizaines d’années encore de pacifisme wilsonien, qui laissaient sans armes cet immense peuple. Nous connaissions toutes les faiblesses, qui tôt ou tard seraient mortelles, des nations fabriquées ou gonflées par le traité de Versailles. Nous savions que la France avait pu grandir et prospérer pendant plus d’un siècle, malgré un régime dont toutes les têtes solides du pays avaient dénoncé dès 1830 les tares, parce que ce régime possédait alors la vitalité de la jeunesse, que son idéologie faisait son tour du monde après être née chez nous. Notre patrie était dans ce temps-là en avant, remorquée par de très sottes chimères, mais à l’avant malgré tout. Aujourd’hui, la démocratie était vermoulue, et les Français demeuraient à peu près seuls, fort attardés, sur son vieux bateau poussif. Ils n’arrivaient pas à l’abandonner par la faute des écumeurs qui s’en étaient emparés, s’y étaient installés confortablement et soudoyaient les capitaines.
On pouvait bien tendre les voiles : le vent soufflait d’un autre bord. L’Europe, cervelle de la terre, retrouvait le besoin d’une hiérarchie plus naturelle. Les principes autoritaires gagnaient irrésistiblement du terrain et les nations qui les avaient mis en œuvre ouvraient maintenant la marche. Le XX e siècle serait celui des dictatures et du national-socialisme. Il ne servait à rien, sinon à nous perdre, de nous mettre en travers d’un courant que nous n’aurions pas la force de remonter. La sagesse était de le suivre, à notre façon : ce que nous voulions, par amour de
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