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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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maîtres mettaient le comble à leur malfaisance en invectivant tous ses voisins.
    Mon vieil ami le colonel Alerme, ancien chef du cabinet militaire de Clemenceau, marsouin pendant vingt ans de sa vie, l’un des plus infaillibles prophètes que j’aie connus, disait très souvent : « Je me demande ce que les Allemands attendent pour entrer chez nous comme chez eux, pour venir foutre cul par-dessus tête toute cette saloperie. » Je me récriais : « Tout de même, mon colonel ! L’armée française ! la ligne Maginot ! — Je vous dis : cul pardessus tête, et comme ils voudront. » Mais pour notre bonheur, les Fritz ne paraissaient pas autrement décidés à vouloir. Nous fondions sur ce fait des espoirs assez solides, du moins pour un certain terme.
    Plus la France bêtifiait, s’avachissait, et plus nous nous sentions lucides. L’arithmétique de Maurras, « Hitler ennemi N o  1 », nous portait sur les nerfs. Dans son dernier livre, Les Dictateurs, composé aux trois quarts par des nègres (j’y fis les Soviets et le Portugal, Brasillach, je crois, l’Italie et l’Espagne), Jacques Bainville, l’homme le plus averti de l’Allemagne dansl ’Action Française, avait couvert de son nom des phrases comme celles-ci : « Hitler parle toujours des Juifs avec une haine profonde et une absence complète d’esprit critique… Les idées que semble se faire l’auteur de Mein Kampf sur le développement de la « nation juive » à travers le monde sont si grossières qu’on se demande s’il ne s’agit pas d’images frappantes destinées à la foule, aux troupes, aux sections d’assaut, de mythes créateurs d’énergie beaucoup plus que de raisonnements sincères ». Le remâchage des querelles avec les mânes de Gabriel Monod, les disputes autour des textes du Bas-Empire sur la romanité ou la germanité des Gaulois, les diatribes sur la goinfrerie allemande, recueillies avec soin dans le Dictionnaire des idées de Maurras, sentaient vraiment le vieux grimoire. L’assimilation de l’Allemand au Juif était d’une fantaisie par trop énorme. Dans la préface de son Allemagne éternelle, où il venait de reproduire un gros paquet de ces paperasses, Maurras n’hésitait pas à nous donner comme signe de la férocité teutonne les nouveaux procédés de stérilisation, et à nous menacer d’un écouillage méthodique au cas où les Hitlériens deviendraient nos vainqueurs.
    On n’édifiait pas davantage une politique étrangère sur ces exégèses poussiéreuses et sur d’aussi grosses naïvetés que sur les humeurs du ghetto et les rancunes des loges. La balance militaire était désormais renversée : du jour où la Wehrmacht avait pénétré en Rhénanie, nous avions pu nous déclarer d’autant plus pacifistes que l’anarchie ne cessait de croître dans notre pays. Jamais un seul jour, depuis la fin de la guerre, on n’avait fait chez nous une politique française, mais celle de l’Internationale démocratique et des Anglais. Le nationalisme ne consistait-il pas d’abord à se dégager d’une aussi scandaleuse et funeste tutelle ? Nous ne pouvions plus rien contre l’Allemagne sans de haïssables complicités. N’étions-nous pas en droit de proposer au moins une expérience nouvelle ? Une entente bien motivée d’une France réellement libre avec l’Allemagne nationale-socialiste ne devenait-elle pas pour nous la seule issue logique et favorable, le système où les intérêts de la patrie seraient le mieux garantis ?
    Nous relisions parfois, pour nous ébaudir, un mirifique reportage de Candide à Venise, où M. Jean Fayard, du haut de son altière perspicacité, avait dépeint le Führer, en veston, son chapeau sur le ventre, tel un humble commis qui sollicite une place, devant les superbes et condescendants Italiens. Aujourd’hui, par les soins avisés de nos religionnaires, Italiens et Allemands faisaient route ensemble, et le petit homme au chapeau tenait d’une main d’acier les rênes de l’attelage.
    Il se pouvait que selon Platon, Aristote et les Pères de l’Église, l’Allemagne ne fût pas digne de commander l’ordre en Europe. Mais dans l’immédiat qui nous importait beaucoup plus, il nous fallait bien reconnaître que sans Hitler et les sections d’assaut, avec les millions de communistes qui avaient grouillé dans le Reich, avec Léon Blum et Thorez chez nous, la République marxiste en Espagne, Maurras aurait perdu depuis un certain temps

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