Les Décombres
toujours grand train sur la route, panachés de forces militaires françaises dans le plus complet désordre. Trois lascars de mon grenier venaient de lever de petites institutrices vendéennes et projetaient de leur faire voir le soir même la lune sous la feuille à l’envers. Mon voisin de paille était un gamin brun, chaud lapin s’il en fût, chassant les filles depuis le premier jour de la retraite avec un culot suffocant et pas un franc en poche. Il avait incontinent assailli la petite blonde du Vésinet. Il m’en faisait des confidences lyriques : « Ah ! mon vieux ! Ah ! alors ! Cette poule-là. J’ai jamais rien senti de pareil. Je lui ai déjà foutu la main au c… Ah ! que je suis content que ça soit l’armistice ! De ce coup, on va rester ici. Ah ! je pourrai jamais partir sans l’avoir… ».
Il paraît, ma foi ! que cela s’est terminé par un mariage.
* * *
Dans la journée du 18, cependant, on annonça notre départ imminent. La retraite se faisait de plus en plus précipitée dans Mareuil. Des troupiers, nous disaient au vol que les Allemands étaient devant Nantes, qu’ils se faufilaient partout. La Vendée, à son tour, s’ébranlait, il nous arrivait des cantons voisins des kyrielles de paysans.
Cela continuait donc, comme l’horrible activité, les derniers soins auprès d’un moribond dont chacun sait qu’il sera un cadavre dans quelques heures. Il me semblait entendre des dadais à galons haranguer leur poignée de vaincus fourbus et sans fusils : « Attention, vous autres ! l’armistice est demandé. Mais c’est toujours la guerre. Voilà tout ce que je veux savoir ici. » Et pendant que nous gueusions dans ce petit village, que nous sifflions litre sur litre de rosé, que les filles jouaient du derrière devant nous dans leurs robes bleues et blanches, des malheureux, nos frères, tombaient encore. Plus rien ne pouvait être tenté, il fallait abandonner la lutte, le vieux Maréchal de Verdun lui-même l’avait dit, et pourtant, des soldats mouraient toujours. Quelle surhumaine intrépidité, quelle farouche ivresse, ou quelle incomparable absence d’imagination ne fallait-il pas pour se faire tuer ainsi, à la dernière heure, sachant ce que l’on savait ! Ah ! pour Dieu ! que ces braves-là fussent aussi peu nombreux qu’il se pût ! La France avait trop besoin d’un aussi beau sang. Il était trop tard, cent fois trop tard pour réparer par les armes quelque chose de notre honte militaire. S’il se pouvait qu’on la rachetât, ce serait par d’autres moyens, un autre courage, d’autres sacrifices enfin utiles.
Notre fameux C. OR A2, lui, quoi qu’il advînt, se garderait bien de nous réclamer nos vies. Il serait fort capable par contre, pour achever dignement sa campagne, de nous faire prendre sur place, dans les roues de nos camions, à deux pas des Sables-d’Olonne. Quelques bougres le souhaitaient, convaincus qu’ainsi ce serait pour eux beaucoup plus vite fini. Mais de jeunes aspirants préparaient déjà notre fléchage, aussi glorieux d’avoir été choisis pour cette mission, aussi remplis d’elle que s’ils eussent commandé un coup de main dramatique à la tête d’un corps franc. Ah ! Ah ! les défaitistes n’avaient qu’à bien se tenir.
Après tous les contrordres d’usages, nos colonnes s’éclipsèrent en coup de vent à deux heures du matin.
* * *
Le jour nous trouva aux environs de Parthenay, dans ce Poitou qui m’apparaît si coquet, l’un des coins de France les plus pimpants, avec des villages si frais et joliment léchés, peut-être parce que j’ai dans mes veines un peu de son sang.
Nous allions à pleine vitesse vers Saint-Maixent. Mais notre belle allure fut bientôt freinée. Je n’oublierai pas de sitôt certains carrefours des routes nationales, aux environs de La Crèche, non plus que Saint-Maixent et bien d’autres lieux de cette matinée. Nos embouteillages aux portes de Paris n’étaient auprès de cela que d’aimables embarras de carrosses. Il semblait que tout ce qui avait passé sous nos yeux depuis dix jours se fût coagulé là. La migration s’achevait dans une complète démence. Les troupeaux des Deux-Sèvres et de la Vendée arrivaient dans le dos de tous les autres. Tandis que cette mer cherchait à descendre vers le sud, les Charentes, fuyant l’avance allemande le long de la côte, remontaient vers le Nord. Les caravanes de La Rochelle et celles d’Amsterdam, de Lille
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