Les derniers jours de Jules Cesar
l’entreprise des Dix Mille qui,
environ quatre siècles plus tôt, avaient presque atteint Babylone sans coup
férir. Il précisa que la situation avait beaucoup changé, que l’armée de
Crassus avait été anéantie par les Parthes à Carrhes, dix ans plus tôt. Son
expédition répondait au but suivant : venger le massacre de Carrhes,
l’humiliation de Rome en la personne d’un de ses triumvirs et de milliers de
soldats valeureux, et reconquérir les aigles perdues. Ce ne serait toutefois
que le début. Les Parthes constituaient une menace constante, il était
nécessaire de s’en débarrasser une fois pour toutes.
César aborda ensuite les aspects tactiques et stratégiques
de sa future campagne. Il tira d’un coffret, sur la table, la carte dont
Publius Sextius avait réussi à s’emparer, une copie de l’ancienne route du Roi,
ainsi que d’autres voies se dévidant dans les immenses régions de l’Empire
parthe jusqu’en Arménie, en Sarmatie, en Médie et en Bactriane. Il l’étala sur
la table, et les membres du conseil de guerre purent admirer, stupéfaits, un
chef-d’œuvre de science géographique sans égal.
Accoudés, ils se penchèrent tous pour contempler de près la
partie orientale du monde. Chacun formulait des commentaires. Ceux qui
connaissaient l’Orient parcouraient du doigt les localités représentées, les
fleuves, les lacs, les mers et les montagnes.
Puis ce fut le tour du dictateur. Il traça de l’index les
lignes directrices de l’attaque sur la feuille de parchemin recouverte de
couleurs naturelles : marron pour les montagnes, vert cuivre pour les
fleuves, les lacs et les mers, vert clair pour les plaines, ocre pour les
déserts. Une main habile avait transcrit en latin les toponymes perses.
Il attaquerait de la Syrie et de l’Arménie, faisant confluer
ses forces en tenaille sur Ctésiphon, la capitale.
Le problème, affirma-t-il, résidait dans la cavalerie et les
arcs à double courbure des Parthes, capables de frapper depuis une longue
distance, affirma César. En admettant que Crassus eût gagné à Carrhes et se fût
enfoncé dans le territoire, il n’aurait eu que peu de chances de victoire.
Perdu dans l’immensité des déserts de Syrie et de Mésopotamie, privé d’une
cavalerie efficace, il aurait constitué une proie facile pour les escadrons à
cheval de l’armée ennemie. Leur tactique était la suivante : attaquer,
frapper et se replier, sans jamais engager de corps à corps. C’était ce que lui
avait rapporté un survivant, qui avait réchappé par miracle au massacre, caché
sous un tas de cadavres.
Bientôt Silius remarqua que certains membres de l’assemblée
regardaient plus volontiers César que la carte, qu’ils le scrutaient au lieu de
l’écouter. Pourquoi ? Que cherchaient-ils sur le visage de leur
chef ?
« La force », pensa-t-il, la force qui se nichait
dans son front plissé, dans ses yeux, sa mâchoire, ses poings appuyés sur la
table.
Antoine semblait plus attentif au plan stratégique : il
intervenait de temps en temps, réclamant à César des éclaircissements. Il paraissait
vraiment prêt à partir pour l’expédition contre les Parthes et à jouer son rôle
de général subalterne sur le vaste théâtre des opérations. D’autres avaient
l’air incrédule ou indifférent. Ainsi, Decimus Brutus échangeait tout bas avec
Gaius Trebonius des considérations que Silius aurait aimé saisir.
Antoine entendait peut-être prouver à César, qui l’avait
traité avec froideur après les Lupercales et fait placer à sa gauche, qu’il
était toujours son meilleur officier, le seul capable de mener à terme des
opérations de grande haleine et de grande portée, et qu’il avait commis une
erreur en l’écartant.
Silius lui-même en était persuadé, mais il continuait de
s’interroger sur son attitude aux Lupercales. Avait-il agi de sa propre
initiative ? Cela avait-il constitué une erreur, une gigantesque erreur
d’évaluation ? Avait-il vraiment cru accomplir un geste d’adulation
extrême ? Offrir à César la couronne de roi pour se vanter ensuite de lui
avoir fourni ainsi la seule et véritable reconnaissance qu’il méritait.
Était-ce un calcul qui lui aurait permis de se poser en l’homme le plus fidèle
et le plus puissant de l’empire après César ?
Tout était possible et rien n’était convaincant, car Antoine
n’était pas un imbécile.
Il ne pouvait ignorer qu’il courait des
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