Les derniers jours de Jules Cesar
maintenant, laissez-moi poursuivre, dit Cassius.
Il semble qu’on soit au courant de notre plan et qu’on s’approche de la
vérité… »
Les invités se dévisagèrent, effrayés.
« … Voilà pourquoi il est fondamental d’être prêts à
tout affronter. Le lieu de l’embuscade pourrait devenir un piège.
— Que veux-tu dire ? interrogea Petronius. Sois
plus explicite.
— Nous sommes dotés de force morale et d’une noble
ascendance, nous avons rempli d’importantes fonctions civiles et militaires,
nous avons joui de nombreux privilèges et affronté des risques mortels pour nos
idées. Nous sommes prêts. Nous avons déjà fait dans le passé ce que nous nous
apprêtons à faire. Ce que je vais vous proposer pourra vous sembler terrible,
mais c’est à mes yeux un pacte noble et nécessaire.
— Parle, dit Brutus.
— Si nous étions démasqués pour une raison ou une autre
alors que nous nous trouvons à l’intérieur de la salle, nous n’aurions pas
d’issue.
— Non, pas d’issue, confirma Pontius Aquila.
— Alors ? demanda Rubrius Ruga.
— Alors chacun d’entre nous aura sur lui un poignard.
Je propose que nous nous tuions mutuellement plutôt que de tomber entre les
mains du tyran, plutôt que de nous humilier à ses pieds, plutôt que d’accepter
son odieux pardon. Nous l’avons déjà fait une fois, et sa marque enflammée
brûle encore sur notre peau comme sur celle d’un esclave fugitif. Je propose
que chacun d’entre nous se choisisse un compagnon, un ami, et qu’il noue avec
lui ce pacte de sang. L’un tuera l’autre. Nous tomberons tous ensemble, et nos
corps inanimés seront le symbole du sacrifice suprême accompli pour la liberté
de la patrie. »
Le murmure que cette proposition avait provoqué mourut sur
les lèvres de tous les conjurés. Niché dans le placard, le jeune esclave
retenait son souffle, de crainte d’être entendu. Un objet heurté, et sa vie ne
vaudrait pas plus cher qu’un as, il le savait.
Cassius dévisagea ses compagnons l’un après l’autre et
conclut : « Si l’un de vous ne s’en sent pas capable, il est libre de
s’en aller. Tant qu’il en est encore temps. Personne ne le blâmera et il n’aura
rien à redouter de notre part : nous sommes certains que personne ne nous
trahira. Je vous demande un acte héroïque, et nul n’est obligé à accomplir des
choix si drastiques. Je le répète, si l’un de vous ne s’en sent pas capable,
qu’il s’en aille maintenant. »
Il n’y eut pas un mouvement : certains conjurés
estimaient que ce serait une mort digne s’ils devaient échouer dans une
entreprise aussi noble. D’autres pensaient que, en cas de capture, ils
endureraient de telles peines que la mort apparaîtrait en comparaison comme une
libération. D’autres encore estimaient que ce serait inutile car leur action
serait couronnée de succès. Ceux-ci préféraient une mort indolore à la honte
d’abandonner leurs camarades et de manifester de la lâcheté.
Après avoir observé une pause assez longue et constaté que
personne ne quittait les lieux, Cassius se dirigea vers Brutus. Il lui tendit
son poignard. « Je te choisis, Marcus Junius Brutus, si tu veux m’aider
dans mon voyage vers l’au-delà. »
Brutus l’imita. « Je nous souhaite à tous que la chance
nous soit favorable, mais si le destin en décidait autrement, je ferai ce qui
m’est demandé. Cassius Longinus sera sans aucun doute un excellent compagnon de
voyage. »
Fascinés et comme galvanisés par cet exemple, les autres
conjurés échangèrent leur poignard avec celui qu’ils considéraient comme leur
ami le plus fidèle.
« Je l’ai vu effectuer à Pharsale, après notre défaite,
reprit Cassius. J’ai vu un père et un fils se tuer mutuellement, s’effondrer au
même moment et mourir d’une mort subite. Il faut qu’un des deux hommes adresse
un signal à l’autre et que les deux poignards soient actionnés au même moment.
Nos amis absents choisiront celui avec qui partager une mort honorable. Je me
charge de les avertir. Et maintenant, regagnons nos demeures. Que vous puissiez
dormir du sommeil tranquille de ceux qui sont dans le juste. »
Il promena de nouveau ses yeux gris sur les membres de
l’assemblée et s’en alla.
Chapitre XV
Romae,
in Domo Publica, a.d. III Id. Mart.,
prima
vigilia
Rome,
demeure du grand pontife, 13 mars,
premier
tour de garde, sept heures du soir
César acheva de se
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