Les Dieux S'amusent
de Delphes, malgré
le scepticisme que je professais à son égard. L’oracle répondit que l’épidémie
ne cesserait que le jour où les meurtriers de l’ancien roi Laïos auraient été
découverts et châtiés. Sans y croire vraiment, mais désireux de calmer l’agitation
des Thébains, je décidai d’ouvrir une enquête sur les circonstances de ce
meurtre vieux de quinze ans, et je la confiai au fameux devin Tirésias, dont tu
as, Thésée, peut-être entendu parler.
— Qui n’a entendu parler de Tirésias ? répondit
Thésée.
Mais si Thésée, comme tous les Grecs de son temps, connaissait
bien Tirésias, certains lecteurs de ce livre sont peut-être moins bien informés.
C’est pourquoi il n’est sans doute pas inutile que j’interrompe quelques
instants le récit d’Œdipe pour présenter brièvement Tirésias, le devin aveugle.
Tirésias
Tirésias était un Thébain qui, pendant sa jeunesse, avait
fait une expérience singulière : il avait changé de sexe. Vous me direz
peut-être que cela n’a rien d’extraordinaire et que, de nos jours, les cas de
transsexualité sont assez courants. Sans doute, mais la singularité de Tirésias
venait de ce qu’il avait changé de sexe « deux fois » : né
garçon, il était devenu jeune fille vers l’âge de dix-huit ans, l’était resté
neuf ans, puis avait repris le sexe masculin. Cette double métamorphose l’avait
rendu célèbre non seulement auprès des habitants de Thèbes, mais aussi auprès
de ceux de l’Olympe. C’est ce qui explique que Jupiter et Junon l’aient un jour
choisi comme arbitre, d’un différend qui s’était élevé entre eux. Junon ayant, pour
la centième fois, reproché à Jupiter ses infidélités conjugales, celui-ci, d’humeur
facétieuse, lui avait répondu que si les hommes et les dieux cherchaient à
varier leurs expériences amoureuses, cela venait de ce qu’ils éprouvaient, dans
l’amour, des plaisirs moins vifs que les femmes. Junon ayant contesté cette
thèse, Jupiter lui proposa de faire trancher le débat par Tirésias, qui s’était
trouvé successivement des deux côtés de la barrière et qui pouvait donc faire
une comparaison objective. Tirésias, consulté, avait donné raison à Jupiter. Vexée,
Junon l’avait immédiatement puni en le rendant aveugle. Pour le dédommager, à
défaut de pouvoir lui rendre la vue, Jupiter lui avait fait don d’une
exceptionnelle clairvoyance mentale et d’une rare aptitude à élucider les
mystères et les énigmes. Tirésias était ainsi devenu une sorte de Sherlock
Holmes ou d’Hercule Poirot de son époque.
Suite du récitd’Œdipe
— Tirésias, reprit Œdipe, accepta l’enquête que je lui
confiai, à condition de pouvoir convoquer tous les témoins qui lui paraîtraient
utiles. Pendant trois semaines, je n’entendis plus parler de lui. Étonné de son
silence, je le convoquai au palais ; il ne s’y présenta pas. Irrité, je me
rendis chez lui.
» Il m’accueillit d’un air gêné et, presque aussitôt, me
pria de le décharger de la mission que je lui avais confiée. Je m’emportai
contre lui, lui reprochai son incompétence : il ne valait pas mieux, lui
dis-je, que toute la méprisable vengeance des oracles et des devins. Piqué au
vif, il s’écria alors :
» — Puisque tu tiens tant à connaître la vérité, je
te la dirai, quoi qu’il puisse t’en coûter ; attends-moi au palais dans
une heure.
» À l’heure dite, en compagnie de Jocaste, je reçus
Tirésias dans la salle du trône. Tirésias me pria de me dissimuler derrière une
tenture pendant qu’il ferait comparaître son premier témoin.
C’était un homme d’une cinquantaine d’années, dont le visage
exprimait l’inquiétude. Lorsqu’il fut assis, Tirésias s’adressa à Jocaste en
ces termes :
» — Reconnais-tu cet homme ?
» — Oui, répondit Jocaste. C’est l’un des quatre
serviteurs qui accompagnaient Laïos au cours de son dernier voyage, et c’est
lui qui seul survivant de ce voyage fatal, nous raconta comment Laïos et son
escorte avaient été attaqués et massacrés par une troupe nombreuse de voleurs.
» Tirésias se tourna alors vers le témoin.
» — Les choses se sont-elles vraiment passées
comme tu l’avais raconté à l’époque ? lui demanda-t-il.
» Baissant la tête, l’homme répondit d’une voix basse :
» — Non, j’ai menti. La vérité, c’est que Laïos et
mes trois compagnons ont été
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