Les dîners de Calpurnia
voir les travaux mais je ne suis pas inquiet. César devenu méfiant et tatillon dans son gouvernement est pour moi un client facile.
Mais ce que m'en rapporte Lucius n'est pas bon pour Rome. Pourquoi, au lieu de
1. Medicamina façiei femineú, l'úuvre d'Ovide alors la plus recopiée et la plus diffusée.
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prendre son pére et son frére pour modéles, met-il donc les pieds dans les sandales de Tibére et de Néron ?
- quand auras-tu terminé le palais ?
- Dans un an. J'espére que l'Empereur ne sera pas assassiné avant !
- Tout cela est bien mais j'ai, mon chéri, à t'entretenir d'un sujet plus important. Es-tu prêt à entendre des propositions qui peuvent changer notre vie ?
- Oui, mais je n'ai pas du tout envie de voir changer notre vie. Je me sens trés bien prés de toi.
- Tant mieux parce que je te propose de t'en rapprocher un peu plus.
- Parle donc. Tu m'intrigues !
- Ecoute, c'est tout simple : veux-tu m'épouser ? Terentia me dit que je suis un monstre de te laisser vivre dans une situation pour le moins délicate. Figure-toi qu'elle t'adore et trouve que tu es le seul homme digne de remplacer son pére.
Stupéfait, Rabirius posa la feuille d'artichaut qu'il était en train de grignoter, s'essuya les mains et observa Calpurnia.
- Terentia t'a dit cela ?
- Oui, tu pourras le lui demander tout à l'heure si elle honore sa promesse de ne pas rentrer tard.
- Sais-tu, mais tu ne peux pas le savoir, que c'est à cause d'elle que je ne t'ai jamais demandé de m'épouser ? Je craignais sa réaction, et voilà
qu'elle me demande d'être son pére ! que les dieux soient remerciés de me donner une fille si belle et si intelligente. Je leur sais gré aussi de t'avoir décidée à conclure une union qui ne semblait pas tellement te tenter.
- Les dieux n'y sont pas pour grand-chose. Je n'avais oas considéré, il est vrai, notre mariage comme une chose capitale. L'amour suffisait. Et puis l'idée de recommencer une cérémonie rituelle sanglante qui pour moi n'a aucun sens me hérissait. Je ne crois plus, tu le sais, qu'au dieu unique des chrétiens et c'est en invoquant sa gloire et sa bonté que je voulais t'épouser. Mais cela est
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impossible. Personne ne nous considérera comme mariés si nous ne sacrifions pas au rituel romain. Cela peut même être dangereux pour ta situation. Nous sommes de loyaux citoyens de Rome et nous devons observer sa loi. Cela, les chrétiens l'admettent, puisqu'ils font aux priéres pour l'Empereur une place dans leur liturgie. Alors, si tu le veux, marions-nous en Romains et voyons, aprés, comment on pourra prier Jésus de bénir notre union.
- Mais je ne suis pas chrétien !
- Tu peux le devenir. Et si ce n'est pas le cas, nous serons tout de même des amoureux mariés !
Il la prit dans ses bras, l'embrassa mieux et bien plus longuement qu'il ne l'avait jamais fait et murmura : " Je t'aime, ma femme chérie ! "
quand elle se dégagea, la nuit était tombée. Elle se leva pour allumer les lanternes et dit :
- J'ai un peu froid. Veux-tu aller me chercher mon écharpe blanche dans la chambre ? Aprés, j'ai une folle envie d'aller dormir... avec toi.
Rabirius aimait Calpurnia et la perspective de devenir, aprés Sevurus et Celer, le maître en titre du Vélabre ne pouvait lui être désagréable. C'est un homme comblé qui se prépara à épouser à la fois une femme aimée et une maison.
Il ne fut naturellement pas question de fiançailles et, pour la cérémonie du mariage, Rabirius obtint par l'entremise de Lucius qu'elle ait lieu sous les auspices de l'Empereur, un artifice qui permit de la réduire à un échange de serments dépourvu de vaines pompes. Sans témoins, sans même la présence de leurs proches, à l'exception de Terentia, ils s'unirent en silence mais conformément à la loi romaine. Ils n'apprirent la nouvelle aux fidéles du Vélabre que plusieurs jours plus tard, au cours d'un banquet organisé sous un quelconque prétexte.
Les premiers invités, dont Tacite sanglé dans sa 236
I
dignité, Martial escorté de Lodenia, sa compagne du moment, Juvénal et son habituel regard malicieux, furent un peu étonnés, à leur arrivée, de constater que la table des hors-d'úuvre était somptueusement parée et que l'on avait sorti des coffres, ce qui ne s'était pas produit depuis longtemps, la collection de soieries orientales rassemblée autrefois par Sevurus afin d'en couvrir les murs de la salle à manger. Cet apparat tranchait avec la
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