Les dîners de Calpurnia
l'avaient précédé dans le siécle impérial des b
‚tisseurs.
On revint, comme chaque fois en fin de soirée, ouvrir une derniére amphore dans l'atrium. C'est alors que Pline annonça la grande nouvelle :
- Mes amis, je vais vous quitter pour quelques mois ou plutôt quelques années. Je pars pour la Syrie exercer ma premiére fonction obligatoire : celle de tribun militaire de la Legio III Gallica. Je n'ai pas fini de m'ennuyer de vous, mais je vous écrirai. Vous connaissez ma manie des lettres : j'échange une correspondance suivie avec Tacite, même lorsque nous sommes tous les deux présents à Rome !
- C'est ton premier voyage ? demanda Rabirius.
- Oui, si je ne compte pas ceux effectués en Italie. J'avoue que ces journées de voiture puis la traversée me font peur. Enfin, beaucoup voudraient être à ma place. J'ai choisi de servir l'Etat, j'ai aspiré au pouvoir, je ne vais pas me plaindre quand on me donne les moyens d'y parvenir. Et puis, vivre la vie des soldats m'intéresse. Je vais découvrir de l'intérieur ce qu'est un camp romain. Mon oncle m'a d'ailleurs tracé la voie. Il a commandé un corps de cavalerie en Germanie et a été procurator dans l'Espagne citérieure avant de voyager en Gaule. Aprés avoir survécu à
tous ces périls, c'est à deux pas de Rome qu'il a trouvé la mort !
- Tu n'es pas mal tombé, dit Martial. La Syrie est, paraît-il, un beau pays. Mais ne t'amourache pas d'un de ces jeunes géants créés par les dieux pour porter les litiéres.
- Ne dis pas de sottises, coupa Calpurnia. Pline n'est 228
pas amateur de garçons. J'en suis s˚re, encore qu'il garde farouchement secréte sa vie personnelle.
Pline sourit et dit :
- Je vais vous rassurer, j'ai l'intention de me marier avant de partir.
J'aimerais assez qu'une femme m'attende à la maison.
Domitien, on le disait souvent au Vélabre, avait trop longtemps rongé son frein pour que, l'heure enfin venue d'exercer le pouvoir, il s'y consacr‚t avec la sérénité et la bienveillance qui avaient caractérisé les régnes de son pére et de son frére. Il n'était pas mauvais administrateur et, s'il manquait de souplesse, il savait prendre le plus souvent les décisions qui convenaient. Ses débuts avaient fait croire qu'il laisserait le souvenir d'un César juste bien que trop sévére, respecté bien que trop hautain. Mais la déception succéda bientôt à l'espoir. Plus le temps passait, moins il éprouvait de plaisir à gouverner. Au lieu de gagner à lui les nouvelles familles de sénateurs que Ves-pasien avait mises en place, il les prenait en grippe et s'en faisait des ennemies. Domitien préférait s'appuyer sur les militaires dont il avait augmenté la solde, un systéme de gouvernement qui n'avait jamais donné de bons résultats.
On avait souvent analysé cette politique au Vélabre, et Tacite, dont le bon sens était apprécié, avait expliqué que Domitien, de plus en plus critiqué
à Rome, gardait la confiance des provinces habituées à juger un empereur sur la qualité de ses gouverneurs et la stabilité de la monnaie.
- Sur ces points, disait Tacite, il fait aussi bien que Vespasien et Titus, mieux sans doute que Néron.
C'est depuis cette époque que Juvénal, lorsqu'il se trouvait au milieu de ses amis, appelait César " le Néron chauve ", malgré les conseils de prudence qu'ils lui donnaient.
- que ta plaisanterie ne sorte pas d'ici. Elle te vaudrait s˚rement bien des désagréments. Domitien considére la
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perte de ses cheveux comme une calamité. Il y voit un mauvais présage.
C'est Rabirius qui mettait en garde le poéte. Il avait maintenant ses entrées au Palatin. U n'y rencontrait pas souvent l'Empereur mais réglait les affaires avec Parthe-nius qui était son aide le plus proche ou, le plus souvent, avec l'affranchi Lucius, chargé de surveiller les finances du palais. Par chance, celui-ci était un passionné d'art, et particuliérement d'architecture. La construction de la Domus Augustana l'intéressait et il retenait longtemps Rabirius lorsque celui-ci venait au palais, lui posant mille questions sur son travail, sa vie et son ancien maître. Il essayait aussi de le faire parler de la maison du Vélabre qui continuait d'exciter, comme au temps de Sevurus et de Celer, la curiosité des intellectuels romains. Rabirius comprenait qu'il e˚t aimé être invité mais, prudent, il ne levait que discrétement le voile sur les activités du cénacle et de ses membres. Il se
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