Les dîners de Calpurnia
désignés, surtout lorsqu'il s'agit de notables connus de tous.
Donc, pour être clair, la dénonciation ne vous conduira probablement pas au tribunal mais va entraîner des mesures que je ne saurais trop vous conseiller de respecter.
- Pour ma part, je me refuse à renier ma croyance ! s'écria Terentia. Des chrétiens ont subi le martyre avant moi, c'est sans regrets que j'irai les rejoindre auprés du Seigneur.
- Alors, attends-toi au pire, dit Pline. Mais je compte bien m'arranger pour que l'on ne te demande rien. En accord avec le préfet du prétoire qui est au courant de :out et que j'ai longuement consulté hier soir, je te propose une solution qui ne devrait pas vous déplaire. Il faut laisser les choses s'apaiser, et surtout éviter que l'affaire ne s'ébruite.
- que devons-nous faire ? questionna Calpurnia, un peu réconfortée par les paroles de Pline.
- Il faut disparaître, éviter le marché, les thermes. Et naturellement les rassemblements de chrétiens. Pour cela, je ne vois qu'un moyen : aller vous installer chez moi dans les Laurentes. Vous connaissez la maison, vous y
-"rez bien et vous vous laisserez oublier.
- Merci, dit Rabirius, les larmes aux yeux.
- Jésus nous sauve, dit Terentia. Je vais le remercier rar des priéres.
- C'est surtout Pline qui vous sauve ! remarqua Juvé-~.al. Mais si tu veux prier, fais-le dans ta chambre plutôt
-; j'aux catacombes !
Fille énergique, mére courageuse, femme armée _ antre les vicissitudes de la vie, Calpurnia ne parvenait ras cette fois à vaincre son désarroi devant un si prompt
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bouleversement. Elle s'avouait, en retenant ses larmes, combien son cúur était partagé entre le soulagement d'échapper dans l'immédiat aux rigueurs extrêmes et la perspective de vivre en reniant sa foi, car c'était tout de même de cela qu'il s'agissait !
Les décisions de Pline furent exécutées à la lettre, et rapidement. Dés le lendemain l'une des voitures du préfet emportait Calpurnia et Terentia sur la route d'Ostie, vers cette campagne des Laurentes que l'avocat qualifiait de virgilienne, une retraite o˘ le chant des cigales remplaçait le tumulte des rues romaines et o˘ le juge le plus terrible n'aurait aucune chance de retrouver les chrétiennes du Vélabre.
Pourtant, malgré les attentions de l'affranchi de Pline qui gérait la maison et les fermes attenantes, malgré le service parfait, elles n'arrivaient pas à entrouvrir le rideau d'angoisse qui les empêchait de go˚ter aux délices du paradis. Il leur fallut plusieurs jours pour s'habituer aux mille secrets de la radieuse maison, à la piscine qui laissait croire que l'on nageait dans la mer, aux salles à manger choisies pour chacun des repas selon l'orientation du soleil et la direction des vents, aux fausses fenêtres de l'atrium qui s'ouvraient sur des architectures imaginaires, aux panneaux rouges du grand triclinium o˘ un peintre inspiré avait représenté Agamemnon s'apprêtant à tuer le cerf sacré
de Diane et Apollon terrassant Python.
Mére et fille avaient heureusement la consolation d'être ensemble. Elles parlaient, parlaient comme elles ne l'avaient jamais fait. Pour la premiére fois depuis longtemps, Calpurnia avait le temps de réfléchir, de repenser sa vie et aussi de songer à l'avenir incertain qui les attendait. Allongée sur un banc couvert de coussins, respirant le parfum du jardin merveilleux, elle fermait les yeux et évoquait pour Terentia le temps o˘ Sevurus, dans sa robe blanche, régnait tel un dieu sur le Vélabre et sur 1 l'architecture romaine, l'époque o˘ Celer pavait de tra- * vertin l'esplanade de l'amphithé‚tre et mariait dans son úuvre colossale le marbre de Portasanta et le pavonazzo.
I
La deuxiéme semaine, elles eurent enfin des nouvelles du Vélabre. Toute correspondance, même par messagers, avait en effet été proscrite pour parer au zéle des délateurs. C'est Pline et sa femme qui se présentérent un jour à midi, porteurs de lettres de Rabirius, de Petronius, de Juvénal et de Martial.
Les propriétaires venaient passer quelques jours à la campagne pour fuir la chaleur pestilentielle de l'été romain. Les deux Calpurnia étaient heureuses de se revoir mais, surtout, les recluses avaient une foule de questions à poser à Pline devenu par affection maître de leur destinée.
Elles apprirent en même temps que Rabirius s'ennuyait loin de sa femme ; que les amis espéraient leur retour et, c'était le plus important,
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