Les dîners de Calpurnia
qu'on ne sépare pas les jeunes époux !
Le soir, seul dans sa chambre d'o˘ l'on entendait le lent clapotis des vagues, Petronius, plus mélancolique que malheureux, essuya une larme puis s'endormit. quand il se réveilla le soleil perçait le voile blanc des rideaux. Il constata que sa peine s'était presque entiérement dissoute durant le sommeil. Il n'en voulait plus à Rufa qui, sans doute, l'oubliait dans les bras de son mari. Celui-ci, même, le laissait indifférent. "
Comment peut-on guérir aussi facilement d'un grand chagrin d'amour ? " se demanda-t-il.
14
" Un homme presque sage "
Marguerite Yourcenar
II était déjà tard lorsque le cisium de Pline déposa Petronius devant le portail du Vélabre. Les lanternes qui éclairaient l'allée jusqu'à la maison étaient allumées et il go˚ta le plaisir du retour qui commençait, il ne l'avait pas oublié, par une bouffée du parfum des chévrefeuilles.
Calpurnia, prévenue par les services de Pline, l'attendait dans \'atrium.
Elle se précipita lorsqu'il franchit le rideau de l'entrée et serra dans ses bras le grand garçon. C'est alors qu'il remarqua combien l'étreinte était faible et la vieille dame fragile. Son visage avait perdu l'éclat qui avait fait longtemps sa fierté. Il apparaissait diaphane sous l'édifice des nattes blanches. Seuls les yeux, toujours noirs, pétillaient de vie.
- Tu me trouves bien vieillie, n'est-ce pas ? s'enquit-elle d'une voix qui elle aussi avait baissé d'un ton.
Il se confondit en dénégations mais elle vit bien qu'il était impressionné, qu'il se rendait compte que sous son air enjoué elle cachait une grande vulnérabilité. Comment, en six mois, sa grand-mére avait-elle pu ainsi changer à ce point ? " Un lis qui s'étiole avant de casser ", pensa-t-il.
Mais, le moment d'émotion passé, Calpurnia reprit des couleurs, elle se redressa, sa voix reconquit son octave naturel.
- Je vais te laisser réparer les fatigues du voyage, dit-393
elle. Le réservoir d'eau chaude est plein, tes tuniques d'intérieur sont rangées à leur place et des boissons fraîches t'attendent dans ta chambre.
Aprés nous souperons tous les deux et tu me raconteras ta vie. Juvénal voulait venir mais je ne l'ai pas invité. Tu penses bien que ce soir je te veux pour moi toute seule !
Le dîner fut trés gai. Calpurnia retrouva pour quelques heures son visage des jours heureux, but un peu de vin, parla de la vie à Rome qu'elle ne connaissait plus que par ce qu'on lui en rapportait.
- Je ne sors plus beaucoup, dit-elle. De temps en temps je loue une litiére mais c'est un luxe que je ne peux pas m'offrir souvent.
- Peux-tu continuer à aller prier dans les souterrains de l'amphithé‚tre ?
Je sais le réconfort que tu trouvais auprés de tes fréres chrétiens.
- Hélas non ! Mes jambes refusent un déplacement aussi pénible. Mais mes amis viennent me voir. Parfois, mon bon géant Colosseo vient me chercher en voiture. J'ai beaucoup prié pour toi, tu sais !
C'est seulement à la fin du repas que Calpurnia fit allusion à Rufa.
- Si cela te fait mal, nous n'en dirons rien mais, si tu le veux, je peux te donner des nouvelles de ta pauvre amie.
- Elle n'est pas si malheureuse, paraît-il. Pline l'a vue en Bithynie qu'elle a rejoint avec son mari. quant à moi, je peux maintenant parler de notre aventure sans souffrir. Crois-tu qu'un jour nous pourrons nous retrouver ?
- Tout est possible. Il faut espérer.
- Je ne sais même pas si j'en ai envie. Tu vois, j'ai beaucoup changé. Je ne veux plus penser qu'à ma sculpture. Sais-tu qu'à Ostie j'ai travaillé
pour Pline ? Atticus, un sculpteur de là-bas, m'a demandé de l'aider à
honorer une commande que notre ami lui avait passée. En fait, le Mithra, un bas-relief destiné à sa maison des Laurentes, est entiérement mon úuvre.
- Et Pline en a été satisfait ?
- Enchanté ! Il m'a dit que j'avais beaucoup de talent et j j il était fier de m'avoir conseillé la sculpture plutôt que .-.rchitecture.
- Moi aussi, je suis fiére de toi.
- Et notre Empereur ? Ne va-t-il pas bientôt rentrer à Rome ?
- Juvénal m'a dit hier qu'il n'en était pas question. Il a . .site successivement la Gaule, la Bretagne et l'Espagne. !. est actuellement en route pour l'Afrique. Partout il .onstruit. A Nîmes, il a consacré une basilique à la mémoire de sa bienfaitrice Plotine. En Espagne, mon rendre Julius continue, paraît-il, de b‚tir pour lui.
- As-tu des nouvelles de
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