Les dîners de Calpurnia
avait choisi son nouvel emplacement, tout prés de l'amphithé‚tre Fla-vien. L'opération qu'Apollodore avait jugée périlleuse, voire impossible, s'était déroulée sans dommage et Hadrien exultait. Il sourit en apprenant qu'elle avait nécessité le concours de vingt-quatre éléphants et d'une armée de manúuvres dirigée par l'architecte Decrianus, le rival d'Apollodore.
Hadrien se tourna vers Milvius Aurelius :
- Fais dire à ce sot d'Apollodore qu'il s'est une nouvelle fois trompé, que son Empereur a eu raison d'oser.
- Justement, il te transmet ses observations sur la construction du Panthéon. Je te signale qu'il émet bien des réserves à propos des directives que tu lui as adressées.
Hadrien blêmit. Ce n'était pas la premiére fois que l'" architecte de Trajan ", comme il l'appelait, se dressait contre ses projets. Sans prudence, il se livrait même, dans son opposition, à une certaine provocation que César supportait de moins en moins. que l'on ose douter de ses talents d'architecte le mettait hors de lui.
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- Apollodore veut m'en remontrer ? Fort bien ! quels sont ses arguments ?
Le visage fermé, il lut les conclusions de celui qui lui avait enseigné
autrefois les rudiments de son art et trancha :
- Prépare un édit qui met fin à la collaboration d'Apollodore aux travaux officiels. Ajoute qu'il lui est désormais interdit de séjourner à Rome.
Mieux, qu'on l'envoie dans une île !
- Tu bannis Apollodore ? demanda Milvius Aurelius, surpris. Tu ne crois pas la sanction trop sévére ? Apollodore, dont l'impertinence est, certes, bl
‚mable, a toujours bien servi l'Empire.
- Ma décision est irrévocable. Fais ce que j'ai dit' !
Guéri, pensait-il, de son mal d'amour, Petronius vivait à Rome comme un ermite, entre le marbre p‚le de ses statues et Calpurnia dont la peau parcheminée trahissait l'‚ge. Il travaillait, cherchait à perfectionner son art, à mieux utiliser ses outils, à donner à sa sculpture l'originalité qui manquait aux artistes romains, essayant d'interpréter les leçons que lui avaient données le vieil Assandre puis, plus tard, Atticus, le sculpteur de dieux.
Calpurnia, incapable maintenant de se déplacer seule, se faisait porter jusqu'à l'atelier et regardait Petronius travailler. La vieille dame avait gardé toute sa tête et sa conversation ravissait son petit-fils qui posait sa masse pour l'écouter égrener ses souvenirs. Il aimait surtout l'entendre parler de sa jeunesse, de Sevurus, du beau Valerius dont elle lui lisait les vers qu'il avait jadis écrits
1. On ne sait rien de précis sur le bannissement d'Apollodore. Soixante-quinze ans plus tard, l'historien Dion Cassius écrira, dans son Histoire romaine, qu'Hadrien, aprés avoir chassé son architecte, l'a condamné à
mort. De nombreuses erreurs ont été relevées dans l'úuvre de Dion Cassius, et son affirmation, en l'occurrence, semble peu crédible. On voit mal Hadrien, empereur non cruel et ennemi déclaré des violences inutiles, poursuivre son ancien maître jusque dans son exil pour lui faire donner la mort à propos de divergences stylistiques...
I
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pour elle. quelquefois elle essuyait une larme et elle disait à Petronius venu l'embrasser :
- Tu enchantes ma vieillesse. Sans toi il y a longtemps que j'aurais rejoint le Seigneur. Mais c'est lui qui t'a désigné, sans que tu le saches, pour veiller sur mes derniers jours.
Ce n'étaient pas vraiment des moments de tristesse. Calpurnia savait encore rire mais Petronius, inquiet, se demandait comment il pourrait continuer de vivre et de travailler lorsque le Vélabre l'aurait perdue.
La vieille maison n'était pas désertée, bien que les visiteurs se fissent de plus en plus rares. Pline ne venait plus depuis plusieurs mois lorsqu'on apprit sa mort, survenue dans sa campagne des Laurentes. Il s'était éteint jeune encore, à cinquante-cinq ans, victime d'un mal contracté en Orient, en contemplant cette mer Tyrrhé-nienne dont il aimait les reflets sous la lune.
La mort de Pline attrista une fois de plus le Vélabre auquel sa mémoire restait attachée. Sa veuve, Calpurnia la Jeune, venait souvent rendre visite à celle qui avait si magnifiquement porté le même nom. Elle aimait aussi regarder travailler Petronius et lui procurait des commandes de la part de ses nombreuses relations. Parfois elle apportait un écrit retrouvé
de son grand homme et le lisait à haute voix dans la tiédeur du jardin.
- Cette
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