Les dîners de Calpurnia

lui.
    L'enfant était timide. Il ne comprit pas lorsque Hadrien lui dit :
    - Si tu es le dieu que j'ai deviné sous ta chevelure de nuit et dans l'amande de tes yeux, tu tiendras dans l'his-:oire de Rome une place aussi grande que celle de ton Empereur.
    A partir de ce jour-là, Antinous - c'était son nom -suivit Hadrien dans ses pérégrinations. Une intimité s'établit tout de suite, qui n'avait rien à
    voir avec les rencontres de fortune dont l'Empereur avait l'habitude.
    Bientôt Hadrien ne put plus se passer de cette forme adorable qui épousait ses jours et ses nuits. Beau félin ou lévrier avide de caresses ? Hadrien préférait croire à un génie familier. Un jour il entendit un personnage important prononcer le mot de " favori " à propos de son jeune ami. Sa colére fut terrible, et le maladroit renvoyé aussitôt à Rome avec l'interdiction à vie de paraître devant lui.
    Le voyage en Gréce qui suivit celui d'Orient fut, l'Empereur ne s'en cachait pas, un enchantement o˘
    410
    411
    Antinous tenait une grande place. Le garçon gagnait peu à peu de l'épaisseur. Eléve doué, il mordait à l'hameçon du savoir qu'Hadrien prenait un plaisir extrême à lui tendre. Durant l'hiver 124-125 que l'Empereur passa à Athénes, ils assistérent ensemble à la fête des Grandes Dionysies. Antinous était là lors de l'initiation aux mystéres d'Eleusis.
    Il fut encore aux côtés d'Hadrien à Thep-sies, à Corinthe et à Sparte. A Mantinée, il regarda graver sur le tombeau d*Epaminondas l'épigramme que l'Empereur avait composé à la mémoire de l'illustre stratége. Enfin, Antinous, ébloui, découvrit Rome qu'Hadrien rejoignait sans enthousiasme.
    L'adolescent trouva sa place au palais, non loin des appartements impériaux. Au début, Sabina avait été surprise et un peu irritée, puis elle avait haussé les épaules et admis une situation qui ne changeait en rien ses rapports conjugaux. Au contraire, la présence d'Antinous rendait son mari plus courtois, plus attentionné. C'est à cette époque qu'il fit frapper des monnaies à l'effigie de l'Impératrice.
    Comment le nom de Petronius parvint-il jusqu'au palais impérial ? Par Rufa peut-être, depuis sa résidence de Bithynie, plus probablement par Calpurnia Pline. L'Empereur voulait posséder le portrait idéal de l'être qu'il chérissait, et les meilleurs sculpteurs, certains venus de Gréce ou de provinces plus lointaines, se succédaient pour exalter dans le marbre l'insolente beauté d'Antinous. Petronius fut donc à son tour invité à se rendre au Palatin o˘ il fut reçu par Lucius Ceonius, homme s˚r du principal :
    - Ton renom est parvenu jusqu'aux marches du palais, dit-il. A toi de montrer qu'il est mérité en sculptant le buste d'un jeune Arcadien auquel César est trés attaché. Il se nomme Antinous et t'accordera huit séances de pose. La premiére aura lieu demain à neuf heures dans l'atelier du palais.
    C'est ainsi qu'une fois de plus, et sans qu'il e˚t rien fait 412
    pour cela, un artiste du Vélabre se trouvait impliqué dans une initiative artistique impériale. En se rendant au palais, Petronius se rappela le conseil d'Apollodore à la veille de sa disgr‚ce mais il s'avoua qu'il était flatté d'avoir été choisi et que la perspective de rencontrer le j eune prodige dont tout le monde parlait à Rome lui était bien agréable.
    Antinous lui apparut comme à tout le monde attachant et réservé. Il parlait peu, se soumettait aux exigences de la pose mais paraissait se désintéresser du travail de Petronius. A quoi pensait-il, le regard lointain, dans son immobile et mystérieuse beauté ?
    Lorsqu'il eut achevé le modelage en terre, Petronius n'en savait pas plus qu'au premier jour sur l'enfant d'Arcadie. L'essentiel restait à faire : exprimer dans le marbre la ressemblance des traits et l'orgueil triste de celui que César avait fait dieu.
    Petronius travailla de longs mois dans son atelier du Vélabre, traversant des périodes d'enthousiasme durant lesquelles il pensait avoir réussi un chef-d'úuvre et d'autres o˘ il était s˚r d'avoir tout raté. Finalement, il livra le buste, fut payé modérément et n'en entendit plus parler1.
    Hadrien, aprés avoir surveillé l'application des réformes qu'il avait préparées avec ses conseillers durant son voyage2, pouvait enfin penser à
    achever les grands travaux déjà commencés et à en lancer de nouveaux ; il lui importait de prouver que ses dons d'architecte n'étaient