Les dîners de Calpurnia
suite." Il sauta sur son cheval dans la tenue qu'il avait choisie pour n'être pas reconnu : pieds nus, couvert d'une vieille tunique et la tête enfouie sous un voile. Suivi de sa pitoyable escorte. César prit le chemin de Nomentana en contournant
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Rome qu'il n'était pas question de traverser, même la nuit. La distance n'était pas trés longue, cinq milles1, mais la route était difficile et les rencontres dangereuses. En passant prés d'un camp, on entendit les clameurs de soldats qui vitupéraient contre Néron et acclamaient Galba. Un homme croisé un peu plus loin demanda ce qu'il en était de Néron et ajouta qu'une troupe le recherchait dans les environs. Un autre, un ancien prétorien, le reconnut quand un coup de vent déplaça son voile. Il le salua sans paraître étonné de voir César errer comme un soldat perdu. Enfin il fallut abandonner les chevaux pour s'engager dans un étroit sentier plein de ronces et arriver à la maison, une cabane o˘ le César déchu ne trouva qu'une paillasse pour accompagner ses cauchemars.
" Le lendemain matin, Phaon et Sporus, en larmes, le pressérent de se dérober aux outrages qui l'attendaient. Néron alors se préoccupa de sa sépulture. Il fit creuser devant lui une fosse à ses mesures et ordonna que l'on recherch‚t tous les morceaux de marbre épars dans la campagne pour les disposer au fond de la tombe. Il regarda faire ses derniers compagnons et pleura en confiant à Sporus : "Le monde va perdre un grand artiste !" C'est alors que le coureur de Phaon apporta un message de Rome. L'Empereur s'en saisit et lut que le Sénat venait de le déclarer ennemi de l'Etat et commandait de l'arrêter pour le punir selon les lois anciennes. Il s'enquit des supplices qui lui seraient réservés et Phaon lui dit que, selon ces lois, le coupable était dévêtu, qu'on lui passait une fourche à travers le cou et qu'on le frappait jusqu'à ce que mort s'ensuive. Terrorisé, Néron sortit les deux poignards qu'il avait cachés sous sa tunique, les regarda longuement puis les remit à leur place. "L'heure vient, murmura-t-il, mais elle n'est pas encore arrivée."
" II pria alors Phaon de commencer les lamentations, se frappa la poitrine de ses poings et fit son mea-culpa. "Ma vie fut honteuse et inf‚me !"
s'écria-t-il. Puis il se
1. Environ huit de nos kilométres.
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calma : "Non, dit-il, de telles paroles ne conviennent pas à Néron. Il faut rester serein dans un tel moment."
" II n'avait pas fini sa phrase que le bruit d'une galopade parvint dans la maison. "Ces cavaliers ont pour mission de s'emparer de toi et de te ramener vivant à Rome ! dit Sporus. Il n'y a pas un instant à perdre."
" Alors Néron, qui avait envoyé tellement de gens à la mort en craignant tant la sienne, décida d'en finir. Sursaut de fierté, honte d'une l‚cheté
qui l'avait perdu, dernier salut à un talent qu'il croyait toujours exceptionnel prés de la tombe, il trouva le courage de citer sans trembler un vers de VIliade : "Le bruit des coursiers fougueux résonne à mes oreilles...", puis, aidé par son secrétaire Epaphroditos, il s'enfonça le fer dans la gorge. Il était temps car un centurion surgissait déjà dans la piéce. Feignant de vouloir venir à son secours, le garde césarien tenta d'arrêter le sang avec sa tunique : "II est trop tard... voilà donc ta fidélité", murmura César. Et Néron expira, les yeux ouverts. "
Le récit de Valerius tenait en une dizaine de feuilles de papyrus collées bord à bord dans le sens horizontal pour constituer un volumen, ou rouleau, que Calpurnia avait développé au long de sa lecture.
- C'est trés bien, dit-elle, en remboîtant soigneusement le manuscrit dans sa capsula. Tu racontes magnifiquement tout ce que les Romains ont envie de savoir.
- Un seul reproche, souligna Celer, ton récit est trop court, on a envie de connaître la suite.
- C'est mieux que ta poésie, mieux que mes épigram-mes, dit Martial à son tour. Tu viens de montrer que tu es historien : reste-le, ne t'arrête pas là !
- Non, je compte consacrer uÔi autre volumen aux funérailles. Je vais me rendre demain à la maison de campagne de Phaon. On m'a dit qu'Actée et les deux nourrices de l'Empereur y seront pour s'occuper de la crémation. Cette petite Actée m'intéresse. Son attachement à celui qui l'a tant aimée et qui l'aurait épousée sans
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la raison d'Etat est surprenant. Je veux aussi montrer les réactions de Rome à la mort de
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