Les dîners de Calpurnia
à
celui de pique-assiette, une situation qui les réjouissait plus qu'elle ne les irritait.
Les deux compéres arrivérent en effet à l'instant prévu, un peu confus de voir leur couvert mis :
- Tu ne vas pas nous dire que tu nous attendais ? dit Martial. Notre venue est fortuite. Elle n'est motivée que par des nouvelles toutes chaudes qui sortent des fours du Palatin.
- Allez, racontez-nous ce que vous savez ! fit Celer, impatient.
- Eh bien ! le message est simple : nous avons un nouveau César, Galba, que nous devons à la trahison programmée de Tigellin et de Sabinus Nymphidius.
- Et Néron ?
- Un malheureux, une loque qui se terre avec une 1. Jeu de doigts levés ou repliés qui s'apparente à la mourre d'aujourd'hui.
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demi-douzaine de fidéles dans sa villa des Jardins servi-liens. A moins qu'il ne se cache ailleurs, dans quelque banlieue isolée, en méditant l'éternelle vérité de notre vieux proverbe qui place tout proche le Capitale de la roche Tarpéienne.
- C'est vrai ! Néron était hier encore le maître du monde, il y a moins de cinq semaines un peuple en délire l'acclamait. Maintenant, quoi qu'il lui arrive, il faut nous attendre à vivre des jours difficiles ! dit Sevurus en hochant la tête. Enfin, vous deux, l'artiste et l'écrivain, vous savez que vous trouverez toujours une place à la table de Sevurus.
Sevurus avait vu juste : le désordre régnait à Rome tandis que Galba, l'Empereur désigné, était toujours sur la route. Si Tigellin avait eu la sagesse de demeurer discret, Nymphidius, lui, avait tenté de profiter de l'absence de Galba pour se frayer un passage vers la magistrature suprême.
Au mépris de toute prudence, le second préfet du prétoire avait tenté de rallier à sa cause les prétoriens qu'il avait une premiére fois trompés en leur affirmant que Néron s'était enfui en Egypte. Peu fiers de s'être à ce moment déliés de leur serment de fidélité, ils n'avaient pas toléré la seconde trahison de Nymphidius et l'avaient tué dans le camp même.
Restait Néron, toujours traqué dans la maison d'un paysan. L'incertitude à
son sujet fut de courte durée. On apprit le lendemain qu'il était mort le 5
juin. La nouvelle avait été divulguée aux Romains sans autre précision et les bruits les plus fantaisistes circulaient en ville. C'est alors que Valerius, réduit à l'inaction, révéla un talent d'historien :
- Il est inconcevable, dit-il un soir au Vélabre, que la mort d'un Empereur soit ainsi occultée. Puisque personne ne se décide à le faire, je vais enquêter et écrire l'histoire des derniers jours de Néron. Je suis s˚r que ce récit que j'afficherai au forum intéressera beaucoup de monde.
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Valerius, encouragé par ses amis, se mit ainsi au travail et leur offrit un peu plus tard le rouleau d'une copie sur parchemin. Il demanda de ne pas en faire lui-même la lecture car il venait de réciter son úuvre dans l'auditorium de Calparinus, un mécéne qui l'avait généreusement rétribué et avait pris en charge la copie d'une cinquantaine d'exemplaires.
- Je suis fatigué, dit-il. Calpurnia, qui lit trés bien, peut-elle s'en charger à ma place ? La jeune femme ne se fit pas prier :
- Installez-vous, je vais demander que l'on nous apporte des rafraîchissements, puis vous écouterez avec respect l'úuvre de notre nouvel historien.
Elle commença bientôt de lire, sa voix musicale servant pleinement le texte qui, dés les premiéres phrases, captiva les auditeurs :
" Néron, abandonné de tous ceux qui l'avaient adulé, savait qu'il était perdu s'il restait un jour de plus dans sa villa des Jardins serviliens.
Allait-il, comme il l'annonçait, se jeter dans le Tibre ? Il préféra se lamenter de la perte d'une boîte en or dans laquelle il avait déposé le poison que Locuste, la grande artiste des morts subites, pourvoyeuse d'Agrippine avant d'être celle de Néron, avait préparé sur sa demande. "Je me serais déjà suicidé, dit-il, si les serviteurs qui m'ont tout pris avant de me laisser seul n'avaient aussi volé le poison. Je veux pour le moment trouver une retraite isolée et reprendre mes esprits."
" Phaon, son affranchi, demeuré auprés de lui avec Sporus, le beau giton, son secrétaire Epaphroditos et un esclave resté fidéle, lui proposa de le conduire dans une petite maison qu'il possédait vers le quatriéme milliaire de Rome, entre la voie Salaria et la voie Nomentana. "Fort bien, dit-il, partons tout de
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