Les dîners de Calpurnia
César. D'aprés mes premiéres constatations, les gens sont stupéfaits, ils croyaient Néron parti vers l'Egypte. Aucune manifestation hostile n'a été signalée. Je crois que le peuple avait une réelle affection pour l'Empereur qui l'a si souvent défendu.
- L'idée est excellente, dit Martial. Mais fais attention. Ton récit va être épluché comme un céleri-rave. Les successeurs de Néron vont s'employer à noircir sa mémoire. Toute critique de la façon dont il a été éliminé sera mal interprétée et te vaudra les pires ennuis.
- Néron aura-t-il droit aux honneurs funébres ou va-t-on ensevelir ses cendres furtivement, comme ce fut le cas pour Caligula ? interrogea Sevurus.
- Je n'en sais rien. J'espére que mon enquête me permettra de répondre à ta question.
Lorsque les deux amis eurent quitté la maison, on commenta plus librement le travail de Valerius.
- Croyez-vous qu'il ait l'étoffe d'un historien ? questionna Calpurnia.
- Sa chronique est bienvenue. Il sait raconter et je pense qu'il aura du succés, répondit Celer. En tout cas, il a raison d'essayer de changer de genre. Il a perdu avec Néron son seul mécéne et les libraires lui achéteront plus facilement ses histoires que ses élégies1.
Valerius avait souvent rencontré Actée au Palatin o˘, aprés son éviction du lit impérial, elle demeurait dans une retraite discréte, Néron lui conservant un statut pri-1. La situation à Rome des écrivains sans fortune personnelle était trés difficile. Les libraires-éditeurs, qui se chargeaient de faire copier et de diffuser les manuscrits que les auteurs leur cédaient pour une somme minime, ne devaient aucuns droits d'auteur à ceux-ci. Une fois lancés dans le public, à un nombre souvent restreint d'exemplaires, les textes étaient libres de tous droits de reproduction et pouvaient être recopiés par n'importe qui, dans une bibliothéque publique par exemple. Les auteurs pauvres ne pouvaient donc compter que sur un mécénat souvent avare.
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vilégié à la cour. Elle avait raconté au poéte son histoire miraculeuse d'esclave devenue l'amour du roi puis sa tristesse de femme répudiée contrainte à rencontrer presque chaque jour dans les couloirs ou les jardins du palais la frivole Poppée qui lui avait succédé. Actée ne se plaignait pas. Elle répétait à Valerius que Néron resterait pour toujours l'amour de sa vie. Une seule fois, elle s'était confiée, disant que l'Impératrice avait une mauvaise influence sur César et n'était pas la femme qui convenait à ce grand enfant capricieux mais généreux.
Aujourd'hui, il la retrouvait dans la campagne perdue de Nomentana, devant la pauvre masure qui avait été le dernier refuge du prince. Elle était là, en compagnie d'Eclogle et d'Alexandra, ses nourrices. Enveloppées dans leurs voiles, elles étaient pathétiques, ces trois femmes penchées au-dessus du trou o˘ gisait, étendu sur quelques morceaux de marbre, celui qui avait été le maître du monde et qui n'était pour elles que l'homme qu'elles avaient aimé et auquel elles étaient les seules à vouloir donner une sépulture décente.
- Bonjour, Actée, dit Valerius. Je sais ce que vous êtes venues faire et je souhaite être le témoin de cet acte de foi et d'amour. Gr‚ce au volumen que je vais écrire, on saura plus tard que la dépouille de l'Empereur Néron n'a pas été abandonnée aux vautours.
- J'en suis touchée, et Eclogle et Alexandra avec moi, répondit Actée.
Merci, cher Valerius. L'Empereur appréciait ton talent. Alors, grave sur tes tablettes ce que tu vas voir et écris le dernier chapitre de son histoire.
Aidées par deux esclave^, les femmes sortirent le corps ensanglanté de sa tombe à peine creusée et le lavérent avant de l'étendre sur un drap blanc tissé de fils d'or. Elles refermérent le linceul et ordonnérent aux esclaves de le porter jusqu'au b˚cher installé derriére la maison depuis la veille.
A la flamme d'une torche, Actée alluma les fagots entassés et une longue fumée monta dans le ciel. " L'‚me
I
de Néron apparaît décidément bien noire ! " pensa Valerius en frissonnant malgré la chaleur du brasier.
- que vas-tu faire des cendres ? demanda le poéte à Actée.
- Nous allons les recueillir dans l'urne qu'un cocher va apporter et nous les raménerons à Rome pour la cérémonie des funérailles.
- Des funérailles officielles ? questionna Valerius.
- Officielles ou non, elles seront honorables,
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