Les dîners de Calpurnia
Crémone, Othon livra sa seule vraie bataille à Betriacum et la perdit. Il avait encore des troupes en réserve et il en arrivait d'autres de Dalmatie, de Pannonie et de Mésie. Les légions vaincues n'étaient pas détruites et auraient pu reprendre le combat. Enfin, Othon avait pour lui Rome et son peuple. Il pouvait donc logiquement poursuivre la lutte mais son horreur de la guerre civile et sa volonté de ne pas exposer l'Empire pour sauver son prestige personnel le poussérent à finir en héros antique :
- Ajoutons encore cette nuit-là à ma vie, dit-il.
Sa chambre resta ouverte et éclairée jusqu'à une heure avancée. Il reçut tous ceux qui voulaient lui parler, se désaltéra d'eau fraîche, puis il prit deux poignards dont il vérifia les pointes. Il en choisit un qu'il glissa sous son oreiller et, aprés avoir fermé sa porte, s'endormit calmement. Au chant du coq, Othon se réveilla et se tua d'un seul coup porté au-dessous du sein gauche dans la trente-huitiéme année de son ‚ge, aprés un régne de quatre-vingt-quinze jours.
Les funérailles de l'Empereur eurent lieu aussitôt comme il l'avait ordonné. Beaucoup de soldats présents lui baisérent les pieds et les mains en l'appelant le héros, le divin. Certains se tuérent à côté de son b˚cher.
A Rome, la consternation fut grande. Ses amis, tout comme ceux qui l'avaient haÔ de son vivant, saluérent sa mort héroÔque et s'accordérent pour dire que, s'il avait fait assassiner Galba, c'était moins pour prendre le pouvoir que pour rétablir la paix et la liberté.
Exit Othon, qui était donc ce Vitellius qui arrivait de Germanie pour le remplacer ? Ce fut Sevurus qui éclaira la famille. Le vieil architecte se souvenait trés bien du jeune courtisan dont le talent à conduire les chars lui avait valu l'amitié de Caius, et sa passion pour le jeu, celle de Claude. Néron surtout avait apprécié cet idéal compagnon de débauche qui savait le flatter.
- Si on ignore à peu prés tout des origines de la famille Vitellius, dit Sevurus, on connaît le renom de son pére Lucius, vainqueur d'Artaban, roi des Perses, consul puis censeur sous le régne de Claude. Je lui ai construit un beau palais sur l'Aventin. C'était un homme actif et intégre que sa liaison avec une affranchie déshonora longtemps. On ne parlait à
Rome que de son habitude d'avaler chaque jour, souvent en public, la salive de sa maîtresse mêlée à du miel. Je l'ai vu faire : il prétextait qu'il s'agissait d'un reméde qui adoucissait sa gorge et ses bronches. Aprés tout, c'était peut-être vrai !
- Tel pére, tel fils... dit Calpurnia.
- Non, le fils avait moins de mérites, ce qui ne l'empêcha pas, aprés le proconsulat d'Afrique, d'obtenir l'intendance des travaux publics. C'est à
ce moment que j'eus tout loisir de l'approcher et de l'observer. C'était un être assez grossier, cruel et surtout gourmand. Il se faisait vomir pour manger à nouveau. Jamais il ne put se retenir
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de retirer de l'autel et d'avaler gloutonnement les entrailles à peine sorties du feu. Sa goinfrerie, m'a confié son cuisinier d'alors, lui a fait inventer un plat qu'il appelait, à cause de son énormité, " le bouclier de Minerve protectrice ".
- Tu as la recette ? demanda Calpurnia en riant.
- Pas exactement, mais je sais qu'on mêlait des foies de scares, des cervelles de faisans et de paons, des langues de flamants, des laitances de murénes.
- Cela rappelle le fameux festin de Trimalcion ! remarqua Martial.
- Pas étorfnant : Lucius était un ami de Pétrone !
- Ainsi, voilà le personnage qui va devenir l'Empereur du monde... soupira Celer. Mais quand va-t-il arriver ? Depuis qu'il est en route !
- Comme Galba naguére, il ne se presse pas. Il jouit de traverser les villes en triomphateur, de passer les riviéres sur des barques somptueusement décorées, de se faire inviter à de splendides et dispendieux festins.
C'est l'historien qui avait parlé. On devinait à son air friand que Valerius se réjouissait à l'avance d'avoir bientôt ce personnage peu commun à se mettre sous la dent.
Aux accents des trompettes, Vitellius fit enfin son entrée dans Rome, vêtu en guerrier, le sabre à la main, au milieu des aigles et des enseignes. Dés le lendemain, il convoqua les pontifes au Champ de Mars et offrit en leur présence un sacrifice aux m‚nes de Néron.
- Encore un qui croit indispensable de chausser les sandales dorées du chéri de la plébe, nota
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