Les dîners de Calpurnia
Veille cependant à ce que tes invocations ne coÔncident pas avec l'une des fêtes qui lui sont consacrées et qui exigent une chasteté de dix à
trente jours. Cela ne faciliterait pas nos desseins !
La disparition de Valerius, si elle avait plongé ses amis dans la douleur, n'avait pas retiré à la maison Sevurus son caractére spirituel. Martial continuait de venir y entretenir le feu sacré de l'intelligence et du talent. Ses épigram-mes avaient toujours le même mordant et, si les turpitudes des puissants avaient tendance à s'estomper sous l'autorité
morale de Vespasien, il trouvait toujours quel-
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ques affranchis enrichis ou quelques sénateurs débauchés pour exercer sa verve redoutable. Ses meilleurs mots, ses piques les plus acérées, il les réservait aux courtisans, à ceux qui se targuaient de faire partie du "
cénacle ", allusion discréte aux abris choisis par le Christ pour réunir ses disciples.
- Serais-tu attiré par le christianisme ? avait un jour demandé Celer.
Martial avait souri :
- Non, tu sais bien que, comme mon ancien patron Néron, je ne crois en rien, mais j'avoue être intrigué : il s'est passé quelque chose à la mort de ce Juif étrange qui se disait le fils de Dieu, réussissait des guérisons et, dit-on, des miracles. Pline pense comme moi : l'affaire Jésus de Nazareth n'est pas finie et ce n'est pas le massacre de quelques centaines de chrétiens accusés sous Néron d'avoir mis le feu à Rome qui empêchera la nouvelle foi de prospérer.
- Mais d'o˘ vient ce nom de chrétiens ? demanda Calpurnia, vivement intéressée.
- Le vieux Julius Nancius, qui sait tout, et plus particuliérement ce qui a trait aux religions, m'a dit qu'il avait longuement parlé à un proconsul converti dont il n'a pas voulu me dire le nom. Il revenait d'Antioche o˘ il avait rencontré un certain Sa˘l et son compagnon Barnabas, deux missionnaires qui parcourent la Gréce, la Turquie, la Syrie pour évangéliser les paÔens. C'est donc à Antioche que les croyants qui s'appelaient jusqu'alors " fréres ", " disciples " ou " gens de la voie "
reçurent le nom de chrétiens qui les unissait dans une même croyance1.
- Ce Julius Nancius m'intrigue, dit Calpurnia. Pourquoi ne l'aménes-tu pas.
un jour au Vélabre ?
- Il est vieux et ne se déplace pas mais si tu tiens à le 1. Antioche, grand centre de l'Orient hellénistique, conquise par les Romains (65 av. J.-C.), devint la troisiéme ville de l'Empire aprés Rome et Alexandrie. Evangélisée par saint Barnabe et saint Paul, elle devint une métropole chrétienne dont saint Pierre aurait été le premier évê-que.
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d'agrandir la demeure sur le jardin pour avoir une chambre supplémentaire, mais Calpurnia s'était récriée :
- Ce lieu créé par la gr‚ce et le talent de notre oncle bien-aimé est sacré. Je ne veux pas qu'on y touche ! Et elle ajouta, devant l'air étonné
de son mari :
- Cela nous porterait malheur !
Celer, contrit, lui donna raison mais dit pourtant : _
- quand nous aurons un enfant, nous serons bien obli- ï gés de l'abriter avec sa nourrice.
' C'était là un sujet qui revenait maintenant souvent dans la conversation. Calpurnia avait brusquement éprouvé l'envie d'être mére et cette perspective enchantait Celer :
- Tu te souviens d'une des derniéres paroles du cher Sevurus : " Je ne regrette qu'une chose en quittant la vie, c'est de n'avoir pu tenir un enfant de vous dans mes bras. " Nous donnerons son nom à notre premier bébé.
- Mais pourquoi ne vient-il pas, cet enfant ? demanda Calpurnia. Nous faisons pourtant ce qu'il faut pour cela !
- Alors, redoublons nos efforts ! La t‚che me paraît plutôt agréable...
- Demain, et les jours suivants, j'irai invoquer Isis. J'ai eu tort de délaisser la déesse des plaines du Nil aprés notre mariage qu'elle avait pourtant favorisé comme je le lui demandais.
Celer, qui ne croyait pas plus à Isis qu'au pouvoir des dieux romains officiels, sourit :
- Veille cependant à ce que tes invocations ne coÔncident pas avec l'une des fêtes qui lui sont consacrées et qui exigent une chasteté de dix à
trente jours. Cela ne faciliterait pas nos desseins !
La disparition de Valerius, si elle avait plongé ses amis dans la douleur, n'avait pas retiré à la maison Sevurus son caractére spirituel. Martial continuait de venir y entretenir le feu sacré de l'intelligence et du talent. Ses épigram-mes avaient toujours le même mordant et,
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