Les dîners de Calpurnia
le onze des calendes de juillet, quatre mois avant son retour à Rome. Il avait voulu que la charge en f˚t confiée à Vestinus, un architecte membre de l'ordre équestre. Ce choix fut naturellement commenté dans la maison du Vélabre.
- On voit que Néron n'est plus là, dit Calpurnia. C'est à toi. Celer, qu'il aurait passé la commande. J'espére que le nouveau César ne va pas te faire payer la confiance de son prédécesseur !
- Mais non, ma chérie, répondit Celer en dominant la déception qu'il avait lui aussi ressentie. Vestinus est un excellent architecte et il est normal que l'on fasse appel à son talent. D'ailleurs, le travail qu'on lui demande, reconstruire exactement l'ancien monument, n'est pas trés intéressant.
Lorsque Vespasien arriva enfin à Rome, en octobre 70, les travaux préliminaires n'étaient pas encore achevés et l'Empereur commença son régne par l'un de ces gestes qu'affectionnent les grands politiques et qui leur permettent d'entretenir à peu de frais leur popularité. Un matin, 132
les gens du palais avaient fait courir le bruit dans la ville que Vespasien se rendrait à neuf heures sur le chantier du Capitole et qu'il s'y passerait quelque chose de surprenant. C'est donc acclamé par une foule de badauds que César descendit de sa litiére et donna l'exemple, mêlé aux esclaves, en portant sur son dos un sac de décombres. Il fut évidemment suivi par tous les grands personnages qui l'accompagnaient, puis par la foule elle-même... Durant un temps, il devint trés chic, à Rome, de venir aider à déblayer les ruines.
Ce petit événement avait permis aux Romains de mieux faire connaissance avec leur nouvel empereur qui, contrairement à ses prédécesseurs, n'aimait pas la pompe des défilés. Il avait fait abréger à son arrivée les honneurs du triomphe sur les Juifs et menait une vie simple, le plus souvent hors du Palatin, préférant vivre et recevoir dans sa maison que l'on appelait les Jardins de Salluste.
Si sa silhouette était celle d'un homme robuste, en pleine maturité, le visage de Vespasien accusait ses soixante années. Chauve jusqu'à la partie postérieure de son cr‚ne o˘ frisaient quelques derniers cheveux, le front sillonné de rides et finissant sur un épais bourrelet qui descendait jusqu'aux sourcils, la bouche large, le menton proéminent, il apparaissait marqué au double sceau de la race romaine et de son ascendance paysanne de la Sabine. On le disait soucieux de sa santé qu'il entretenait par des exercices quotidiens. Cela plaisait aux Romains qui avaient enfin l'impression d'être gouvernés par un empereur énergique mais humain, féru d'ordre mais tolérant, capable de maîtriser la confusion qui avait failli perdre l'Empire et d'assumer le résurrection de l'Etat.
Restait à savoir comment il envisageait la tutelle que, par tradition, les empereurs exerçaient sur les arts et les lettres. Cette question n'était pas sans inquiéter la maison Sevurus, comme on continuait d'appeler la villa fleurie du Vélabre o˘ rien n'avait été modifié. Celer, qui supportait mal l'inaction, avait bien un jour proposé
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d'agrandir la demeure sur le jardin pour avoir une cham -bre supplémentaire, mais Calpurnia s'était récriée :
- Ce lieu créé par la gr‚ce et le talent de notre oncle bien-aimé est sacré. Je ne veux pas qu'on y touche ! Et elle ajouta, devant l'air étonné
de son mari :
- Cela nous porterait malheur !
Celer, contrit, lui donna raison mais dit pourtant :
- quand nous aurons un enfant, nous serons bien obligés de l'abriter avec sa nourrice.
C'était là un sujet qui revenait maintenant souvent dans la conversation.
Calpurnia avait brusquement éprouvé l'envie d'être mére et cette perspective enchantait Celer :
- Tu te souviens d'une des derniéres paroles du cher Sevurus : " Je ne regrette qu'une chose en quittant la vie. c'est de n'avoir pu tenir un enfant de vous dans mes bras. " Nous donnerons son nom à notre premier bébé
- Mais pourquoi ne vient-il pas, cet enfant ? demanda Calpurnia. Nous faisons pourtant ce qu'il faut pour cela !
- Alors, redoublons nos efforts ! La t‚che me paraît plu tôt agréable...
- Demain, et les jours suivants, j'irai invoquer Isis. J'ai eu tort de délaisser la déesse des plaines du Nil aprés notre mariage qu'elle avait pourtant favorisé comme je le lui demandais.
Celer, qui ne croyait pas plus à Isis qu'au pouvoir des dieux romains officiels, sourit :
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