Les dîners de Calpurnia
prévenir : ici c'est d'abord à ma femme qu'il faut plaire. Calpurnia est la vestale de notre chaleureuse compagnie.
- Je ferai tout pour cela, Calpurnia. Il est vrai que Martial m'a beaucoup parlé de toi et t'a décrite comme une femme qui ne supporte ni la médiocrité ni la faiblesse de l'‚me.
Calpurnia éclata de rire :
- Ainsi, Martial me fait passer pour une intellectuelle pédante ! Mais il me semble que toi-même tu cultives volontiers l'éloquence. Si tu veux nous séduire, sois simple, tout bonnement ! Dis drôlement les choses sérieuses, rapporte-nous du forum ou des thermes des nouvelles singuliéres, moque-toi des puissants... et tu seras adopté. Ces murs, qui distillent de la passion, ne supportent que les gens gais et intelligents, pas les raseurs !
Maintenant viens t'asseoir puisque tu es déjà des nôtres. Ah, l'oubliais : même s'il ne te plaît pas, ne dis pas de mal de l'amphithé‚tre, c'est la fierté de la famille !
Juvénal avait compris la leçon. Aprés, par discrétion, s'être peu mêlé à la conversation, il s'enflamma soudain à propos de la jeunesse :
- Vespasien, dit-on, entend rendre l'honneur à l'Empire pourri par la vanité et l'argent. Fort bien, chacun sait que la richesse est mére de la corruption. Mais s'intéresse-t-il à la jeunesse, à tous ces enfants qui demain détiendront les pouvoirs ? Non. Est-il obligé d'abandonner la jeune génération aux maux devenus traditions dans une Rome qui se perd ? On trouve normal
169
qu'un enfant, à peine conçu, soit saisi par ses vices propres et particuliers : l'engouement pour les histrions, les acteurs vulgaires, le go˚t sans retenue des combats de gladiateurs et des courses de chars.
Trouve-t-on encore des jeunes qui à la maison ou à l'école parlent d'autre chose ? Il faut former leur esprit au lieu de le g‚ter !
Ce théme avait été souvent abordé au cours des discussions du Vélabre mais jamais avec cette passion, cette justesse d'expression et de pensée. Aprés que Juvénal, confus, se fut excusé de sa véhémence, Celer le félicita :
- quelle plaidoirie ! Comment quelqu'un pourrait ici te donner tort ? Moi aussi je déteste les jeux cruels qui abêtissent le peuple, mais je construis le plus grand amphithé‚tre de notre monde. Vespasien ne pense pas autrement mais il a commandé cette fantastique aréne o˘ cinquante mille Romains pourront voir en hurlant un lion dévorer un condamné ! Admettons qu'en ce qui me concerne il s'agisse de faiblesse, pour l'Empereur c'est la rançon du pouvoir. Même si cela ne change pas grand-chose, il est bon que des voix s'élévent de temps en temps pour défendre les principes. Si c'est le rôle des orateurs, vivent les orateurs !
- Merci, Celer. Cela ne m'empêche pas d'admirer ton amphithé‚tre. Sans doute irai-je même me mêler à la foule un jour que l'on appelle " de fête "
mais je pense vraiment qu'il est mauvais de flatter les plus bas instincts des hommes. Aujourd'hui, je le clame mais peut-être qu'un jour je l'écrirai1.
L'amphithé‚tre apparaissait chaque jour un peu plus dans le paysage romain comme un géant dont les milliers de serviteurs attachés à son service avaient du mal à satisfaire l'appétit. Depuis cinq ans maintenant, l'ogre aux cent gueules de marbre engloutissait chaque jour de 1. Plus tard dans sa vie, c'est en effet dans la poésie qu'il cherchera la gloire et qu'il écrira, dans ses Satires aux Romains, des mots d'amer mépris (Panem et Circenses...).
170
pleins chariots de matériaux, de bois, de pierres, de briques et surtout de travertin. Le tiburtinus ' avait été choisi pour sa résistance et la proximité de son lieu d'extraction. Celer et ses ingénieurs avaient évalué
à quatre vingt mille métres cubes la quantité de travertin nécessaire à la construction de l'amphithé‚tre mais le mur d'enceinte et son revêtement en avaient utilisé quarante-cinq mille et la partie interne - gradins, escaliers et dégagements -dépassait déjà ce chiffre alors qu'elle était loin d'être achevée2.
- Notre amphithé‚tre est un gouffre, disait le curator à Celer. L'Empereur, qui est comme tu le sais peu dispendieux, est effaré par les sommes dépensées. Je lui réponds que l'éternité n'a pas de prix et que l'amphithé
‚tre Fla-vien perpétuera sa dynastie. Cela le calme, surtout s'il a été le matin contempler notre monument qui, il faut le dire, est magnifique.
- C'est vrai, mais l'aménagement des
Weitere Kostenlose Bücher