Les dîners de Calpurnia
Rabirius. Me garderas-tu auprés de toi, Celer, pour une nouvelle commande ?
- Ta question me fait injure ! Non seulement ton aide m'a été indispensable pour mener le travail à son terme, mais tu fais partie de la famille.
- Merci. A vrai dire, je n'étais pas inquiet ! Tout comme toi, je pense, me voilà soulagé : je croyais qu'on ne verrait jamais la fin de ce chantier titanesque !
- Oh ! tu sais, j'ai vécu de pires heures sous Néron avec la Maison Dorée !
Mais je suis tout de même un peu anxieux. Nous avons construit une belle machine, reste à voir si elle fonctionne. Les cinquante mille spectateurs trouveront-ils leur place rapidement comme nous l'avons promis à
l'Empereur ? A la sortie, ne vont-ils pas se bousculer dans les vomitoires et finir le spectacle dans une dangereuse panique ?
Aprés avoir fait le tour de l'amphithé‚tre et noté ça et là quelques imperfections qu'il faudrait réparer plus tard, les trois hommes montérent^! second étage o˘, sous les arcades à pilastres corinthiens, des maçons plaçaient les derniéres statues de marbre sous la direction du sculpteur.
- quel dommage que toi et tes compagnons n'ayez pu terminer la totalité des statues, dit Celer à ce dernier. Une bonne moitié de la forme extérieure de l'amphithé‚tre va paraître inachevée.
Le sculpteur, un éléve de Zénodore, leva les bras au ciel :
- En deux ans, nous avons sculpté quatre-vingt-dix-huit statues, toutes différentes. Il en manque encore soixante-deux et, pour arriver à ce nombre, il nous a fallu travailler jour et nuit. Nous n'avons rien à nous reprocher. Si tu avais passé la commande deux ans auparavant, tout serait fini aujourd'hui.
Celer convint que sa remarque était injuste et dit à l'artiste qu'il demanderait une gratification à Titus pour les sculpteurs. La visite allait se terminer dans la bonne humeur. Felicianus, le curator, qui n'était généralement pas d'un abord aimable, avait le sourire. " Est-ce parce qu'il est content de ne plus m'avoir sur le dos ? " se demanda Celer en priant Rabirius de graver sur sa tablette que les travaux pourraient être considérés comme achevés lorsque l'on aurait vérifié le rescellement d'un chapiteau du premier étage.
Pour cette t‚che, on avait monté en h‚te un échafaudage au niveau de l'entrée principale. Celer dit à ses compagnons de l'attendre, qu'il allait monter voir si l'ouvrier resté en haut avait fait convenablement le travail.
Une échelle était dressée qu'il escalada facilement. que se passa-t-il alors ? Un cri fit lever la tête à Rabirius et à Felicianus qui virent avec terreur l'échafaudage se disloquer au-dessus d'eux et deux corps tomber d'une hauteur de douze métres avant de s'écraser sur le sol. Ils se précipitérent. L'ouvrier hurlait de douleur, les deux jambes vraisemblablement brisées. Celer, lui, inconscient, respirait à peine. Sa tête avait heurté la base des fondations et il perdait du sang en abondance. Rabirius s'était défait de sa toge et l'avait roulée pour y poser la tête de son maître. Il se releva, décomposé, le regard fixe :
- Celer va mourir. Celer va mourir... répétait-il.
Il s'agenouilla de nouveau et prit la main de l'architecte qui rendit l'‚me quelques minutes plus tard sans avoir repris connaissance, insignifiante tache blanche rougie de sang, au pied de son colosse de marbre.
Rabirius, que Felicianus tentait de réconforter, pleurait, tandis que des ouvriers accourus soignaient leur camarade. Il prononça quelques mots incompréhensibles puis finit par dire :
- Il ne verra pas son amphithé‚tre plein de spectateurs, il ne verra pas César lancer son mouchoir dans
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l'aréne et il ne verra pas Calpurnia, heureuse, partager son triomphe.
- Va chercher ma litiére qui est à la porte Flavienne et celle des architectes qui doit se trouver à côté de la statue du Soleil, lança le curator à l'un des ouvriers présents.
- Oui, dit Rabirius qui recouvrait ses sens. Il faut ramener Celer dans sa maison du Vélabre. Veux-tu t'occuper du transport ? Moi je dois tout de suite aller prévenir sa femme.
Il monta dans la litiére et dit aux deux porteurs égyptiens qu'ils avaient intérêt à aller trés vite. En route, ballotté d'un côté à l'autre de la cabine, il maîtrisa sa peine et sécha ses larmes. Comment annoncer à
Calpurnia qu'elle ne reverrait plus jamais Celer vivant, qu'elle se trouvait brutalement amputée d'une moitié
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