Les dîners de Calpurnia
évolution de notre architecture. Cette fois un monument officiel, commande de l'Empereur, n'est pas seulement destiné à être grandiose, superbe et croulant sous le marbre : il est utile ! Ce palais est à la fois la demeure de l'Empereur et .e siége de son gouvernement.
- L'important, c'est que ce gouvernement soit bon. Peu importe le toit qui l'abrite !
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C'est Martial qui avait parlé et le doux Rabirius, pourtant peu agressif dans les discussions, se f‚cha :
- Sous prétexte qu'ils écrivent et qu'ils ont une réputation de méchants critiques à défendre, les satiristes disent n'importe quoi. L'grchitecte, ne t'en déplaise, a une mission dans la société. Il est là pour rendre plus agréable l'usage que le client doit faire d'une construction. C'est vrai pour une maison courante, des thermes ou un amphithé‚tre. C'est vrai aussi pour le palais de César. Si celui-ci utilise les bureaux que je lui construis pour instaurer des lois ineptes, ce n'est pas mon affaire.
D'ailleurs la Domus Flavia est faite pour durer des siécles et j'ose espérer qu'elle abritera quelques bons empereurs !
- Tu te mets bien vite en colére, remarqua Pline en riant. Ce qu'a dit Martial n'est pas faux, encore qu'affirmer préférer une bonne décision prise sous un toit croulant à une mauvaise adoptée dans un palais neuf et fonctionnel ne me paraît pas témoigner d'une haute philosophie. Nous vous renvoyons tous deux dans votre coin. Maintenant, je rappelle que cela a toujours été notre privilége, à nous, habitués du Vélabre, d'avoir la primeur des grands travaux du prince. Montre-nous donc à quoi va ressembler ta fameuse Domus Flavia, ou Domus Augustana, je ne sais comment la nommer.
L'assemblée, en gardant sa coupe de vin de Frontignan à la main, gagna l'atelier, non sans avoir au passage admiré le jardin de Sevurus qui embellissait d'année en
année.
- Regardez, dit Calpurnia, l'arbre de Sevurus et de Celer. Son ombre a doublé depuis la mort de mon pauvre
mari.
La joyeuse bande se tut un instant en mémoire des disparus et chacun entra, le cúur un peu serré, comme toujours, dans le temple du Vélabre.
Rabirius aida Calpurnia à allumer les lampes qui entouraient le grand pupitre, toujours à sa place au centre de la piéce, et l'architecte enleva l'étoffe qui protégeait le plan dessiné sur un papyrus.
- Voici mon projet, dit-il, ajoutant qu'il serait reconnaissant à ses amis de lui donner un avis exempt de flatterie.
Un murmure d'admiration accueillit ces mots et Rabirius, à l'aide d'une petite canne d'ivoire que les plus anciens avaient déjà vue maniée par Sevurus et Celer, désigna les différentes sections de son projet et expliqua ce que serait le nouveau palais.
- Vous voyez, la partie sud donne sur le Circus Maxi-mus et la façade sensiblement curviligne, pour l'alléger, s'ouvre sur un grand vestibule flanqué de deux salles en demi-cercle.
Il pointa ensuite du bout de sa canne le péristyle, immense, en précisant :
- Au centre, je vais installer une fontaine monumentale ornée d'écussons de bronze. Tout autour s'ouvriront des piéces de dimensions imposantes dont l'Aula Regia qui doit servir à Domitien à accorder ses audiences officielles et à recevoir l'hommage de ses sujets. Elle sera entourée de colonnes et de niches destinées à contenir des statues. Les deux entrées encadreront une abside...
- Mais c'est un temple ! s'écria Juvénal.
- Domitien n'est-il pas une divinité ? Il en est en tout cas convaincu.
Plus que Néron et même plus qu'Auguste qui, le premier, a revendiqué ce titre. Voyez maintenant à droite. Ici s'ouvre le triclinium. Je ne sais pas si l'Empereur y prendra tous ses repas mais il pourra inviter beaucoup de monde à dîner !
Pline et Tacite, les seuls à avoir une chance d'y être conviés un jour en raison de leurs fonctions officielles, posérent quelques questions, et Rabirius découvrit un second papyrus :
- Voilà maintenant la suite de l'édifice, la Domus Augustana, qui sera la résidence privée de César. J'ai innové pour la distribution des piéces et je prévois une
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décoration que l'on trouvera peut-être un peu chargée mais qui plaît au propriétaire des lieux.
On congratula le maître, chacun y allant de son compliment. Ce n'était pas de la flagornerie. Tous étaient admiratifs, étonnés de constater que le jeune architecte avait, pour ses débuts dans l'art monumental, égalé les deux virtuoses qui
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