Les disparus
note-t-il encore,
puisque Dieu s'était soucié de former les fœtus des corrompus) — et pendant
cent cinquante jours, les eaux sont restées sur la terre, montant jusqu'à ce
qu'elles engloutissent les sommets des montagnes. Il serait difficile
d'imaginer un détail plus efficace que ce dernier (du moins dans les temps
bibliques, quand l'échelle des choses était inférieure à ce qu'elle est
aujourd'hui) dans la suggestion de l'étendue de l'oblitération accomplie par
Dieu avec le Déluge — pas simplement la destruction de la vie, mais
l'effacement du paysage même, l'élimination rapide et soudaine de tout repère
familier, de toute chose familière.
C'est cela qui me fait venir à l'esprit quelque chose
dont on ne nous parle pas dans parashat Noach. Peut-être parce que j'ai passé
ces dernières années à écouter des histoires de gens qui devaient quitter
certains endroits en toute hâte et parce que, de surcroît, Rachi au moins est
alerté par le fait que Noé, en dépit de sa relation intime avec Dieu, a attendu
la dernière minute pour monter à bord de l'arche, détail qui conduit Rachi à
conclure que Noé, comme les autres de la Génération du Déluge, « était un
de ces hommes de peu de foi, qu'il n'avait pas cru que le déluge aurait lieu
jusqu'à ce que les eaux tombent sur lui » —je me demande souvent si Noé et
sa famille ont emporté autre chose avec eux, en dehors des animaux, un souvenir
quelconque, peut-être, des vies qu'ils avaient eues avant que le monde fût
complètement effacé. Dans la mesure où le texte n'en fait pas mention, je dois
supposer qu'ils ne l'ont pas fait, et par conséquent je ne peux pas m'empêcher
de penser que cette horrible privation a donné une saveur particulière à la
joie de Noé quand il a aperçu le rameau d'olivier dans le bec de la fameuse
colombe. Nous savons, bien sûr, ce qu'était la signification immédiate du
rameau, mais je ne peux m'empêcher de penser que la vision de la feuille verte
– rappel soudain, vivace, du monde qu'il avait laissé derrière lui — a dû
lui faire l'effet d'un sursis par rapport à un tout autre genre d'oubli.
C 'est un peu plus
tard au cours de ce même après-midi que nous avons retrouvé Bob Grunschlag.
C'était aussi le jour que Matt avait choisi pour une séance de photos sur la
plage.
Pourquoi sur la plage ? avais-je demandé, un peu agacé,
lorsqu'il avait annoncé qu'il voulait aller à Bondi Beach avec Jack et Bob pour
qu'ils trempent les pieds dans l'eau dans le portrait qu'il voulait foire des
deux frères de Bolechow qui avaient survécu. Ne savait-il pas qu'ils étaient
tous les deux assez âgés ? Je ne voulais pas les pousser à bout. J'avais besoin
de leur bonne volonté.
Écoute, m'avait-il répondu, tu fais ce que tu fais, et tu me
laisses faire ce que je sais faire. Mon boulot, c'est de jouer le méchant flic
jusqu'à ce qu'ils atteignent le point de rupture. J'ai besoin d'une photo qui
dise « Australie », sinon pourquoi je serais venu ?
Très bien, avais-je dit.
Et donc, en fin d'après-midi, le lendemain, après notre long
déjeuner avec Meg et M. Grossbard, nous avons roulé jusqu'à l'appartement de
Bob, qui se trouve sur la plage, et nous avons parlé un moment avec lui, à la
grande satisfaction de Jack, qui voulait être sûr que son petit frère, qui
n'avait pas vraiment connu les filles Jäger, ait aussi notre attention.
Bon garçon, bon garçon, avait dit Jack, en me tapant sur
l'épaule avec affection, quand je lui avais annoncé que nous allions
interviewer Bob.
Euh, je suis un frère aîné aussi, avais-je dit. Je sais ce
que sont ces choses.
Mais je ne le savais pas en réalité. Il faudrait encore un
ou deux voyages avant que je me rapproche de Matt, que je commence à me sentir
protecteur à son égard.
Sur la plage, Matt a guidé Jack et Bob vers le ressac et
puis, ayant décidé qu'il n'y avait pas d'autre moyen d'obtenir la photo qu'il
voulait, il a soudain retiré ses chaussures isothermes et, se tournant vers
moi, les a jetées pour que je les attrape. Il a marché jusqu'à ce qu'il ait de
l'eau jusqu'aux genoux et a commencé à ouvrir les boîtiers qui pendaient à son
cou. Il n'arrêtait pas de regarder le ciel avec un air inquiet. Notre
conversation avec Bob s'était prolongée un peu plus qu'il ne fautait souhaité.
Le soleil commençait à s'enfoncer.
Je ne photographie qu'avec la lumière disponible, a-t-il
dit.
Je ne parle qu'avec les
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