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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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constituent les registres les plus
anciens qui aient survécu de la communauté juive de Bolechow, conservés
aujourd'hui aux Archives municipales de L'viv, qu’ils remontent au début du XIXe
siècle, et que, parmi ces registres, se trouve un certificat de décès, daté du
26 novembre 1835, qui fait état du décès, à l'âge de quatre-vingt-neuf ans,
d'une certaine Sheindel Jäger, le 24 du même mois. Cette Sheindel, veuve de feu
Judah Jäger, était morte (note sans doute inutilement le certificat) de
« son grand âge», à l'adresse suivante : Maison 141. Pour des raisons administratives,
toutes les maisons dans le village étaient numérotées, et ces numéros, plutôt
que les noms des rues, étaient utilisés dans tous les documents officiels, même
si je peux vous, dire, puisqu'une femme qui le sait me l'a dit, quelques années
plus tard, pendant que nous déjeunions à Tel-Aviv, que la rue s'appelait Schustergasse, rue du Cordonnier. Elle était née, comme nous pouvons le déduire, en 1746,
peut-être 1745, ce qui fait d'elle mon ancêtre connue le plus âgé, puisqu'elle
était la mère d'Abraham ) Jäger (1790-1845), qui était le père d'Isak Jäger
(vers 1825– avant 1900, qui était l'année de la naissance du frère
sioniste de mon grand-père, Itzhak, qui portait ce nom en son honneur), qui
était le père d'Elkune Jäger (1867-1912), mon arrière-grand-père mort
brutalement dans un spa, déclenchant ainsi une série d'événements qui auraient
pour résultat lointain, inimaginable, les morts par balles, par coups, par
gazage, de son fils, de sa belle-fille, et de ses quatre petites-filles ; et
qui était aussi le père d'Abraham Jäger (1902-1980, Grandpa), qui était le père
de Marlene Jaeger Mendelsohn (née en 1931), qui est ma mère.
    Ce n'est pas sans une ironie amère que je constate que c'est
à cause de l'existence d'une chose appelée Sefer HaZikaron LeKedoshei
Bolechow ou « Livre-mémorial des martyrs de Bolechow » que je
sais ce que je sais. Car c'est à cause de ce livre que j'ai rencontré Susannah,
c'est Susannah qui m'a mis en relation avec Alex, l'affable jeune Ukrainien que
j'allais, moi aussi, rencontrer un jour, et c'est cet Ukrainien qui gagne
maintenant sa vie en emmenant des Juifs américains sur les sites dévastés de
l'histoire de leurs familles et qui a trouvé pour moi les documents qui font
remonter le lignage de ma famille Jäger, de façon inimaginable, à une femme du
XVIII e siècle –  une femme qui aurait très bien pu connaître
ou, c'est presque certain, poser son regard (bleu ?) sur Ber Birkenthal de
Bolechow, une femme qui, comme chacun de ses descendants, depuis son fils
jusqu'à son arrière-arrière-petit-fils, mon grand-père, est née et a vécu dans
la même maison, la maison n° 141 d'une ville appelée Bolechow, à proximité de
Lemberg (plus tard Lwów, puis L'vov, et enfin L'viv), dans
la province de la Galicie de l'empire royal et impérial de la monarchie
dualiste d'Autriche-Hongrie.
    Voilà la première chose que Susannah a faite pour moi. La
seconde est quelque chose que je n'aurais jamais imaginé, ne serait-ce qu'une
fois.
    Nous avions échangé une correspondance au sujet de son
voyage à Bolechow en 1999, puisque j'envisageais désormais d'y aller moi-même.
J'avais alors pensé que je pourrais écrire un article sur ce que pouvait être
le retour vers un shtetl ancestral, au bout de deux générations, et de
parler aux gens qui y vivaient à présent, afin de découvrir s'il pouvait bien
rester de vagues traces de la vie telle qu'elle avait été. Un jeudi de janvier
2001, j'ai écrit à Susannah un e-mail lui demandant s'il y avait, à sa
connaissance, une personne qui vivait à Bolechow, à Bolekhiv, qui eût encore des
souvenirs précis de la période précédant la Seconde Guerre mondiale –  des
gens que j'aurais pu interviewer pour l'article que je pensais écrire.
Peut-être, écrivais-je, que je devrais demander à Alex de m'aider à placer des
annonces dans les journaux locaux.
    Elle m'a répondu le mardi 30, en me procurant, presque
accessoirement, des informations qui étaient pour moi stupéfiantes. A propos
des vieux habitants de Bolechow qui pourraient m'intéresser, écrivait-elle, il
y avait un Juif très âgé qui avait récemment déménagé de Bolechow à New York,
avec son épouse tout aussi âgée : un homme de quatre-vingt-neuf ans du nom
d'Eli Rosenberg. Il était, comme l'a dit Susannah, « le dernier

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