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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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essayer de lui redonner son identité,
sinon pour elle-même, du moins pour leur tranquillité d'esprit à eux...
    Et puis, alors que notre conversation s'achevait et que je
me rendais compte que nous n'avions rien appris de spécifique sur Shmiel et sa
famille, qu'en venant ici en personne, nous ne nous étions pas rapprochés d'un
seul fait, d'un seul détail qui pourrait apporter la preuve ou le démenti des
histoires que nous avions toujours entendues (y avait-il un château dans les
environs ? ai-je demandé à chaque personne rencontrée, me souvenant ce que mon grand-père
avait dit, il y a si longtemps ; et la réponse inévitable tombait de nouveau,
comme je m'y attendais, à savoir qu'il n'y avait pas de château, pas d'endroit
où se réfugier) – alors que notre conversation prenait fin, nous avons
appris un dernier détail. Conduits à une fosse commune et abattus. Pyotr
se souvenait de la dernière Aktion, lorsque les Juifs avaient été
emmenés dans le cimetière et abattus dans une fosse commune.
    Où était la route qu'ils ont prise ? avait demandé mon
frère. Olga s'est levée vigoureusement, a pointé le doigt vers la fenêtre et
dit, Ici !, et Nina a plaqué une main sur sa bouche, surprise, n'ayant
jamais auparavant entendu cette histoire, apparemment, comme si elle ne
parvenait pas à croire qu'une chose à la fois aussi énorme et aussi lointaine
ait pu se produire là devant. Mais c'était en fait toujours aussi près.
C'était la route sur laquelle nous avions marché pour venir jusqu'à cette
maison, la route sur laquelle Maria nous avait quittés.
    Pyotr se souvenait aussi que, pendant cette dernière Aktion, alors que leurs voisins juifs de Bolechow étaient emmenés, presque nus, sur
cette route – les derniers Freilich, Ellenbogen, Kornblüh,
Grünschlag et Adler, quel que fût leur nom, les derniers de ces
générations de Juifs de Bolechow, les bouchers, les chiffonniers, les marchands
de bois, dont la présence ici, tellement inimaginable à présent, est néanmoins
attestée, méticuleusement inscrite à l'encre dans des recensements et des
annuaires professionnels depuis longtemps oubliés et désormais disponibles, de
façon bizarre et improbable, Pour quiconque dispose d'un ordinateur –,
alors que les derniers des Juifs de Bolechow marchaient nus, deux par deux,
vers une mort dont la date et le lieu précis n'apparaissent dans aucun document
officiel, ils avaient crié en polonais à leurs voisins – c'est-à-dire à
Olga qui était toujours debout, le doigt pointé vers la fenêtre, et aux autres
-" Portez-vous bien », « Adieu, nous ne nous reverrons plus
jamais », "Nous ne rencontrerons plus jamais ».
    Alors qu'Alex traduisait le récit de Pyotr de la marche vers
la mort de ses voisins, je me suis souvenu du timbre exact de la voix de mon
grand-père au téléphone quand il disait « Adieu » : ce a à peine
soufflé des Juifs polonais, cette prononciation qui a aujourd'hui presque
disparu de la terre. Mais ce n'est pas pour cette raison que ces adieux
angoissés sont restés gravés dans mon esprit et ont constitué les détails les
plus horribles de tous ceux que nous avons entendus ce jour-là. C'est seulement
plus tard, après mon retour aux Etats-Unis, que je me suis aperçu que cet
unique détail reliait ce que nous avions entendu à Bolechow, ce jour-là, le
jour dont tout allait dépendre, à quelque chose dont je m'étais souvenu dans
les lettres de Shmiel : l'adieu à la fois conscient et impensable. Je vous
dis adieu et Je vous embrasse de tout mon cœur.
     

     
    Adieu, nous ne nous
reverrons plus jamais.
    C'est un fait bien établi que la plupart des actes de
sauvagerie les plus violents perpétrés contre les Juifs de l'Europe de l'Est
l'ont été, non par les Allemands eux-mêmes, mais par les populations locales de
Polonais, d'Ukrainiens, de Lituaniens, de Latviens – par les voisins, les
intimes, avec qui les Juifs avaient vécu côte à côte pendant des siècles,
jusqu'à ce qu'un délicat mécanisme se grippe et qu'ils se retournent contre
eux. Il y a des gens qui trouvent ça étrange — à commencer par les Juifs
eux-mêmes. Plus d'un survivant que j'ai pu interviewer, dans les années qui ont
suivi ce premier voyage à Bolechow, a exprimé sa sidération, sa colère ou sa
rage devant le fait que des gens qu'il avait considérés comme ses voisins ont
pu, tout à coup, devenir des tueurs.
    Des cannibales, a craché une femme à

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