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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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à l'intensité de mon intérêt, mais
rapidement elle m'a montré des choses : de vieilles photographies, le livre
Yizkor de Stryj. Ce n'est pas une femme sentimentale – lorsqu'elle m'a dit
de ne rien apporter, lors de cette première invitation à venir boire le thé, en
janvier 2000, et que j'ai apporté un bouquet de fleurs, elle a eu l'air
positivement ennuyée ; ou du moins c'est ce que j'ai cru alors, moi qui n'avais
pas encore appris à lire les signaux compliqués qu'elle émettait – mais
elle a pleuré, un tout petit peu, ce samedi après-midi-là chez elle, lorsqu'elle
m'a montré le livre Yizkor.
    Dix-sept ans, a-t-elle dit, à la fois gênée et agacée
par ses larmes, en me montrant une photo un peu floue d'un garçon disparu
– un neveu, un cousin, je n'arrive plus à me souvenir à présent. Il avait dix-sept
ans, il a failli s'en sortir.
    Puis elle a eu un geste d'impatience et m'a fait asseoir à
la table, avec la belle nappe blanche et l'assiette de condiments, le plateau
de pain noir en tranches et de saumon fumé, et le plat blanc avec l'assortiment
de pâtisseries et de gâteaux secs. Sa bonne, Ella, une Polonaise blonde et
affable, d'une cinquantaine d'années peut-être, s'est approchée nerveusement
avec une théière à la main.
    Vous n'auriez pas dû vous donner tant de peine, Madame
Begley ! en disant ces mots, j'ai soudain eu l'impression d'avoir douze
ans et de répéter avec application les politesses apprises pendant mon enfance
à Long Island.
    Elle m'a jeté un regard qui n'avait rien d'adorable. Que
voulez-vous que je fasse ? a-t-elle dit sur un ton qui était un mélange d'irritation
et d'indulgence. Je suis une vieille dame, polonaise et juive. C'est comme ça.
    J’ai mangé le saumon, les gâteaux secs.
    Et cela a duré pendant les quelques mois qui ont suivi. Il y
avait quelque chose de très formel, presque rituel, dans ces visites ;
récemment encore, elle refusait de m'appeler autrement que Monsieur
Mendelsohn. Le téléphone sonnait et une voix disait, Monsieur
Mendelsohn, pourquoi ne venez-vous pas prendre le thé la semaine prochaine,
vendredi vous conviendrait, oui, vendredi, d'accord, à vendredi donc. Quand
j'arrivais, elle m'attendait dans la petite entrée, bien droite et élégante
dans une de ses robes d'hôtesse en velours  bleu nuit qu'elle affectionnait. Je
présentais les fleurs que j'avais apportées et, les ignorant, elle préférait me
serrer la main et dire, pendant qu'Ella me débarrassait des fleurs, Venez
manger quelque chose. Nous traversions lentement l'entrée jusqu'à la salle à
manger et là, nous mangions le saumon et les gâteaux secs, nous buvions le thé,
qui était, en fonction de la saison, chaud ou glacé, et nous parlions de mes
enfants ou de ses enfants et petits-enfants, et arrière-petits-enfants.
Parfois, après cette collation, nous passions dans la salle de séjour avec ses
douzaines de photographies encadrées de son fils et de ses enfants et
petits-enfants, avec son sofa profond et ses fleurs fraîches, avec cette
atmosphère légèrement confinée des pièces où il n'y a pas beaucoup de mouvement
rapide, une atmosphère de contemplation plutôt que d'action, une atmosphère de
musée ou de mémorial, et elle s'asseyait dans le coin dans son imposant
fauteuil à grand dossier et je restais perché sur le bord du sofa, profond et
mou, et nous parlions encore un peu. Puis, peu de temps après, elle prenait sa
canne et, en se levant comme le font les reines ou les Premiers ministres pour
indiquer gentiment mais fermement que l'audience est à présent terminée, elle
disait, Hé bien, maintenant, au revoir et merci. Elle me présentait sa
main noueuse, parcheminée et fraîche, comme le ferait une impératrice détrônée
avec un membre de sa cour qui l'aurait connue avant la révolution, et je m'en
allais.
    A l'époque où ces visites avaient lieu, mon grand-père, dont
les histoires, les secrets et les mensonges à préserver, à découvrir et à démêler,
ont occupé une bonne partie de ma vie, était mort depuis un quart de siècle, et
avec lui tous les autres. Et à présent j'étais là, à prendre le thé tous les
mois avec cette femme, née seulement huit ans après mon grand-père, qui était
donc de sa génération et de sa culture. C'est pourquoi j'ai ressenti, lorsque
j'ai commencé à rendre visite à Mme Begley, que quelque chose m'avait été rendu
de façon inattendue, que j'avais un peu triché avec la

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