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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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maniere de composition, de peu
de nom.
    Et puis, pour qui escrivez vous ? Les sçavants, à qui
appartient la jurisdiction livresque, ne cognoissent autre prix que
de la doctrine ; et n'advoüent autre proceder en noz esprits,
que celuy de l'erudition, et de l'art : Si vous avez prins
l'un des Scipions pour l'autre, que vous reste il à dire, qui
vaille ? Qui ignore Aristote, selon eux, s'ignore quand et
quand soy-mesme. Les ames grossieres et populaires ne voyent pas la
grace d'un discours delié. Or ces deux especes occupent le monde.
La tierce, à qui vous tombez en partage, des ames reglées et fortes
d'elles mesmes, est si rare, que justement elle n'a ny nom, ny rang
entre nous : c'est à demy temps perdu, d'aspirer, et de
s'efforcer à luy plaire.
    On dit communément que le plus juste partage que nature nous aye
fait de graces, c'est celuy du sens : car il n'est aucun qui
ne se contente de ce qu'elle luy en a distribué, n'est-ce pas
raison ? qui verroit au delà, il verroit au delà de sa veuë.
Je pense avoir les opinions bonnes et saines, mais qui n'en croit
autant des siennes ? L'une des meilleures preuves que j'en
aye, c'est le peu d'estime que je fay de moy : car si elles
n'eussent esté bien asseurées, elles se fussent aisément laissé
piper à l'affection que je me porte, singuliere, comme celuy qui la
ramene quasi toute à moy, et qui ne l'espands gueres hors de là.
Tout ce que les autres en distribuent à une infinie multitude
d'amis, et de cognoissans, à leur gloire, à leur grandeur, je le
rapporte tout au repos de mon esprit, et à moy. Ce qui m'en
eschappe ailleurs, ce n'est pas proprement de l'ordonnance de mon
discours :
    mihi nempe valere et vivere
doctus
.
    Or mes opinions, je les trouve infiniement hardies et constantes
à condamner mon insuffisance. De vray c'est aussi un subject,
auquel j'exerce mon jugement autant qu'à nul autre. Le monde
regarde tousjours vis à vis : moy, je replie ma veuë au
dedans, je la plante, je l'amuse là. Chacun regarde devant soy, moy
je regarde dedans moy : Je n'ay affaire qu'à moy, je me
considere sans cesse, je me contrerolle, je me gouste. Les autres
vont tousjours ailleurs, s'ils y pensent bien : ils vont
tousjours avant,
    nemo in sese tentat
descendere :
    moy, je me roulle en moy-mesme.
    Ceste capacité de trier le vray, quelle qu'elle soit en moy, et
cett'humeur libre de n'assubjectir aysément ma creance, je la dois
principalement à moy : car les plus fermes imaginations que
j'aye, et generalles, sont celles qui par maniere de dire,
nasquirent avec moy : elles sont naturelles, et toutes
miennes. Je les produisis crues et simples, d'une production hardie
et forte, mais un peu trouble et imparfaicte : depuis je les
ay establies et fortifiées par l'authorité d'autruy, et par les
sains exemples des anciens, ausquels je me suis rencontré conforme
en jugement : Ceux-là m'en ont asseuré de la prinse, et m'en
ont donné la jouyssance et possession plus claire.
    La recommandation que chacun cherche, de vivacité et promptitude
d'esprit, je la pretends du reglement, d'une action esclatante et
signalée, ou de quelque particuliere suffisance : je la
pretends de l'ordre, correspondance, et tranquillité d'opinions et
de moeurs.
Omnino si quidquam est decorum, nihil est profecto
magis quàm æquabilitas universæ vitæ, tum singularum
actionum : quam conservare non possis, si aliorum naturam
imitans, omittas tuam
.
    Voyla donq jusques où je me sens coulpable de ceste premiere
partie, que je disois estre au vice de la presomption. Pour la
seconde, qui consiste à n'estimer point assez autruy, je ne sçay si
je m'en puis si bien excuser : car quoy qu'il me couste, je
delibere de dire ce qui en est.
    A l'adventure que le commerce continuel que j'ay avec les
humeurs anciennes, et l'idée de ces riches ames du temps passé, me
dégouste, et d'autruy, et de moy-mesme : ou bien qu'à la
verité nous vivons en un siecle qui ne produict les choses que bien
mediocres : Tant y a que je ne connoy rien digne de grande
admiration : Aussi ne connoy-je guere d'hommes, avec telle
privauté, qu'il faut pour en pouvoir juger : et ceux ausquels
ma condition me mesle plus ordinairement, sont pour la pluspart,
gens qui ont peu de soing de la culture de l'ame, et ausquels on ne
propose pour toute beatitude que l'honneur, et pour toute
perfection, que la vaillance. Ce que je voy de beau en autruy, je
le louë et l'estime tres-volontiers. Voire

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