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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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ceux qui en avoient
esté interessez, et ausquels devoit toucher le plaisir de ceste
penitence. Tout ainsin est à plaindre la vengeance, quand celuy
envers lequel elle s'employe, pert le moyen de la souffrir :
Car comme le vengeur y veut voir, pour en tirer du plaisir, il faut
que celuy sur lequel il se venge, y voye aussi, pour en recevoir du
desplaisir, et de la repentance.
    Il s'en repentira, disons nous. Et pour luy avoir donné d'une
pistolade en la teste, estimons nous qu'il s'en repente ? Au
rebours, si nous nous en prenons garde, nous trouverons qu'il nous
fait la mouë en tombant : Il ne nous en sçait pas seulement
mauvais gré, c'est bien loing de s'en repentir. Et luy prestons le
plus favorable de touts les offices de la vie, qui est de le faire
mourir promptement et insensiblement. Nous sommes à conniller, à
trotter, et à fuir les officiers de la justice, qui nous
suyvent : et luy est en repos. Le tuer, est bon pour eviter
l'offence à venir, non pour venger celle qui est faicte. C'est une
action plus de crainte, que de braverie : de precaution, que
de courage : de defense, que d'entreprinse. Il est apparent
que nous quittons par là, et la vraye fin de la vengeance, et le
soing de nostre reputation : Nous craignons, s'il demeure en
vie, qu'il nous recharge d'une pareille.
    Ce n'est pas contre luy, c'est pour toy, que tu t'en
deffais.
    Au Royaume de Narsingue cet expedient nous demoureroit
inutile : Là, non seulement les gents de guerre, mais aussi
les artisans, demeslent leurs querelles à coups d'espée. Le Roy ne
refuse point le camp à qui se veut battre : et assiste, quand
ce sont personnes de qualité : estrenant le victorieux d'une
chaisne d'or : mais pour laquelle conquerir, le premier, à qui
il en prend envie, peut venir aux armes avec celuy qui la porte. Et
pour s'estre desfaict d'un combat, il en a plusieurs sur les
bras.
    Si nous pensions par vertu estre tousjours maistres de nostre
ennemy, et le gourmander à nostre poste, nous serions bien marris
qu'il nous eschappast, comme il faict en mourant : Nous
voulons vaincre plus seurement qu'honorablement. Et cherchons plus
la fin, que la gloire, en nostre querelle. Asinius Pollio, pour un
honneste homme moins excusable, representa une erreur
pareille : qui ayant escript des invectives contre Plancus,
attendoit qu'il fust mort, pour les publier. C'estoit faire la
figue à un aveugle et dire des pouïlles à un sourd, et offenser un
homme sans sentiment plustost que d'encourir le hazard de son
ressentiment. Aussi disoit on pour luy, que ce n'estoit qu'aux
lutins de luitter les morts. Celuy qui attend à veoir trespasser
l'Autheur, duquel il veut combattre les escrits, que dit-il, sinon
qu'il est foible et noisif ?
    On disoit à Aristote, que quelqu'un avoit mesdit de luy :
Qu'il face plus (dit-il) qu'il me fouëtte, pourveu que je n'y soy
pas.
    Nos peres se contentoyent de revencher une injure par un
démenti, un démenti par un coup, et ainsi par ordre : Ils
estoient assez valeureux pour ne craindre pas leur adversaire,
vivant, et outragé : Nous tremblons de frayeur, tant que nous
le voyons en pieds. Et qu'il soit ainsi, nostre belle pratique
d'aujourdhuy, porte elle pas de poursuyvre à mort, aussi bien celuy
que nous avons offencé, que celuy qui nous a offencez ?
    C'est aussi une espece de lascheté, qui a introduit en nos
combats singuliers, cet usage, de nous accompaigner de seconds, et
tiers, et quarts. C'estoit anciennement des duels, ce sont à ceste
heure rencontres, et batailles. La solitude faisoit peur aux
premiers qui l'inventerent :
Quum in se cuique minimum
fiduciæ esset
. Car naturellement quelque compagnie que ce
soit, apporte confort, et soulagement au danger. On se servoit
anciennement de personnes tierces, pour garder qu'il ne s'y fist
desordre et desloyauté, et pour tesmoigner de la fortune du combat.
Mais depuis qu'on a pris ce train, qu'ils s'engagent eux mesmes,
quiconque y est convié, ne peut honnestement s'y tenir comme
spectateur, de peur qu'on ne luy attribue, que ce soit faute ou
d'affection, ou de coeur.
    Outre l'injustice d'une telle action, et vilenie, d'engager à la
protection de vostre honneur, autre valeur et force que la vostre,
je trouve du desadvantage à un homme de bien, et qui pleinement se
fie de soy, d'aller mesler sa fortune, à celle d'un second :
chacun court assez de hazard pour soy, sans le courir encore pour
un autre : et a assez à faire à s'asseurer en sa propre

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