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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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profit au change.

Chapitre 26 Des pouces
    TACITUS recite que parmy certains Roys barbares, pour faire une
obligation asseurée, leur maniere estoit, de joindre estroictement
leurs mains droites l'une à l'autre, et s'entrelasser les
pouces : et quand à force de les presser le sang en estoit
monté au bout, ils les blessoient de quelque legere pointe, et puis
se les entresuçoient.
    Les medecens disent, que les pouces sont les maistres doigts de
la main, et que leur etymologie Latine vient de pollere, Les Grecs
l'appellent ἀντἱχειρ, comme qui diroit une autre main. Et il semble
que par fois les Latins les prennent aussi en ce sens, de main
entiere :
    Sed nec vocibus excitata
blandis,
Molli pollice nec rogata surgit
.
    C'estoit à Rome une signification de faveur, de comprimer et
baisser les pouces :
    Fautor utroque tuum laudabit
pollice ludum 
:
    et de desfaveur de les hausser et contourner au
dehors :
    converso pollice vulgi
Quemlibet occidunt populariter
.
    Les Romains dispensoient de la guerre, ceux qui estoient blessez
au pouce, comme s'ils n'avoient plus la prise des armes assez
ferme. Auguste confisqua les biens à un chevalier Romain, qui avoit
par malice couppé les pouces à deux siens jeunes enfans, pour les
excuser d'aller aux armees : et avant luy, le Senat du temps
de la guerre Italique, avoit condamné Caius Vatienus à prison
perpetuelle, et luy avoit confisqué tous ses biens, pour s'estre à
escient couppé le pouce de la main gauche, pour s'exempter de ce
voyage.
    Quelqu'un, dont il ne me souvient point, ayant gaigné une
bataille navale, fit coupper les pouces à ses ennemis vaincus pour
leur oster le moyen de combatre et de tirer la rame.
    Les Atheniens les firent coupper aux Æginetes, pour leur oster
la preference en l'art de marine.
    En Lacedemone le maistre chastioit les enfans en leur mordant le
pouce.

Chapitre 27 New Chapter
    J'AY souvent ouy dire, que la coüardise est mere de la
cruauté : Et si ay par experience apperçeu, que ceste aigreur,
et aspreté de courage malitieux et inhumain, s'accompaigne
coustumierement de mollesse feminine : J'en ay veu des plus
cruels, subjets à pleurer aiséement, et pour des causes frivoles.
Alexandre tyran de Pheres, ne pouvoit souffrir d'ouyr au theatre le
jeu des tragedies, de peur que ses cytoyens ne le vissent gemir aux
malheurs d'Hecuba, et d'Andromache, luy qui sans pitié, faisoit
cruellement meurtrir tant de gens tous les jours. Seroit-ce
foiblesse d'ame qui les rendist ainsi ployables à toutes
extremitez ?
    La vaillance (de qui c'est l'effect de s'exercer seulement
contre la resistence,
    Nec nisi bellantis gaudet cervice
juvenci
)
    s'arreste à voir l'ennemy à sa mercy : Mais la
pusillanimité, pour dire qu'elle est aussi de la feste, n'ayant peu
se mesler à ce premier rolle, prend pour sa part le second, du
massacre et du sang. Les meurtres des victoires, s'exercent
ordinairement par le peuple, et par les officiers du bagage :
Et ce qui fait voir tant de cruautez inouies aux guerres
populaires, c'est que ceste canaille de vulgaire s'aguerrit, et se
gendarme, à s'ensanglanter jusques aux coudes, et deschiqueter un
corps à ses pieds, n'ayant resentiment d'autre vaillance.
    Et lupus et turpes instant
morientibus ursi,
Et quæcunque minor nobilitate fera est
.
    Comme les chiens coüards, qui deschirent en la maison, et
mordent les peaux des bestes sauvages, qu'ils n'ont osé attaquer
aux champs. Qu'est-ce qui faict en ce temps, nos querelles toutes
mortelles ? et que là où nos peres avoyent quelque degré de
vengeance, nous commençons à cest e heure par le dernier : et
ne se parle d'arrivée que de tuer ? Qu'est-ce, si ce n'est
coüardise ? Chacun sent bien, qu'il y a plus de braverie et
desdain, à battre son ennemy, qu'à l'achever, et de le faire
bouquer, que de le faire mourir : D'avantage que l'appetit de
vengeance s'en assouvit et contente mieux : car elle ne vise
qu'à donner ressentiment de soy. Voyla pourquoy, nous n'attaquons
pas une beste, ou une pierre, quand elle nous blesse, d'autant
qu'elles sont incapables de sentir nostre revenche : Et de
tuer un homme, c'est le mettre à l'abry de nostre offence.
    Et tout ainsi comme Bias crioit à un meschant homme, Je sçay que
tost ou tard tu en seras puny, mais je crains que je ne le voye
pas : Et plaignoit les Orchomeniens, de ce que la penitence
que Lyciscus eut de la trahison contre eux commise, venoit en
saison, qu'il n'y avoit personne de reste, de

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