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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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preceptes du monde prennent ce train,
de nous pousser hors de nous, et chasser en la place, à l'usage de
la societé publique. Ils ont pensé faire un bel effect, de nous
destourner et distraire de nous ; presupposans que nous n'y
tinsions que trop, et d'une attache trop naturelle ; et n'ont
espargné rien à dire pour cette fin. Car il n'est pas nouveau aux
sages, de prescher les choses comme elles servent, non comme elles
sont. La verité a ses empeschements, incommoditez et
incompatibilitez avec nous. Il nous faut souvent tromper, afin que
nous ne nous trompions. Et siller nostre veuë, eslourdir nostre
entendement, pour les redresser et amender.
Imperiti enim
judicant, et qui frequenter in hoc ipsum fallendi sunt, ne
errent
. Quand ils nous ordonnent, d'aymer avant nous, trois,
quatre, et cinquante degrez de choses ; ils representent l'art
des archers, qui pour arriver au poinct, vont prenant leur visée
grande espace au dessus de la bute. Pour dresser un bois courbe, on
le recourbe au rebours.
    J'estime qu'au temple de Pallas, comme nous voyons en toutes
autres religions, il y avoit des mysteres apparens, pour estre
montrez au peuple, et d'autres mysteres plus secrets, et plus
haults, pour estre montrés seulement à ceux qui en estoyent profez.
Il est vray-semblable qu'en ceux-cy, se trouve le vray poinct de
l'amitié que chacun se doit : Non une amitié faulce, qui nous
faict embrasser la gloire, la science, la richesse, et telles
choses, d'une affection principalle et immoderée, comme membres de
nostre estre ; ny une amitié molle et indiscrette ; en
laquelle il advient ce qui se voit au lierre, qu'il corrompt et
ruyne la paroy qu'il accole : Mais une amitié salutaire et
reiglée ; esgalement utile et plaisante. Qui en sçait les
devoirs, et les exerce, il est vrayement du cabinet des
muses ; il a attaint le sommet de la sagesse humaine, et de
nostre bon heur. Cettuy-cy, sçachant exactement ce qu'il se
doit ; trouve dans son rolle, qu'il doit appliquer à soy,
l'usage des autres hommes, et du monde ; et pour ce faire,
contribuer à la societé publique les devoirs et offices qui le
touchent. Qui ne vit aucunement à autruy, ne vit guere à soy.
Qui sibi amicus est, scito hunc amicum omnibus esse
. La
principale charge que nous ayons, c'est à chacun sa conduite. Et
est ce pourquoy nous sommes icy. Comme qui oublieroit de bien et
saintement vivre ; et penseroit estre quitte de son devoir, en
y acheminant et dressant les autres ; ce seroit un sot :
Tout de mesme, qui abandonne en son propre, le sainement et
gayement vivre, pour en servir autruy, prent à mon gré un mauvais
et desnaturé party.
    Je ne veux pas, qu'on refuse aux charges qu'on prend,
l'attention, les pas, les parolles, et la sueur, et le sang au
besoing :
    non ipse pro charis amicis
Aut patria timidus perire
.
    Mais c'est par emprunt et accidentalement ; L'esprit se
tenant tousjours en repos et en santé : non pas sans action,
mais sans vexation, sans passion. L'agir simplement, luy couste si
peu, qu'en dormant mesme il agit. Mais il luy faut donner le
bransle, avec discretion : Car le corps reçoit les charges
qu'on luy met sus, justement selon qu'elles sont : l'esprit
les estend et les appesantit souvent à ses despens, leur donnant la
mesure que bon luy semble. On faict pareilles choses avec divers
efforts, et differente contention de volonté. L'un va bien sans
l'autre. Car combien de gens se hazardent tous les jours aux
guerres, dequoy il ne leur chault : et se pressent aux dangers
des battailles, desquelles la perte, ne leur troublera pas le
voisin sommeil ? Tel en sa maison, hors de ce danger, qu'il
n'oseroit avoir regardé, est plus passionné de l'yssue de cette
guerre, et en a l'ame plus travaillée, que n'a le soldat qui y
employe son sang et sa vie. J'ay peu me mesler des charges
publiques, sans me despartir de moy, de la largeur d'une ongle, et
me donner à autruy sans m'oster à moy.
    Cette aspreté et violence de desirs, empesche plus, qu'elle ne
sert à la conduitte de ce qu'on entreprend. Nous remplit
d'impatience envers les evenemens, ou contraires, ou tardifs :
et d'aigreur et de soupçon envers ceux, avec qui nous negotions.
Nous ne conduisons jamais bien la chose de laquelle nous sommes
possedez et conduicts.
    male cuncta ministrat
Impetus
.
    Celuy qui n'y employe que son jugement, et son addresse, il y
procede plus gayement : il feint, il ploye, il differe tout à
son aise, selon le besoing des

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