Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
Vom Netzwerk:
d'affermer qu'ils l'ont veu : ou
d'alleguer des tesmoins, desquels l'authorité arreste nostre
contradiction. Suyvant cet usage, nous sçavons les fondemens, et
les moyens, de mille choses qui ne furent onques. Et s'escarmouche
le monde, en mille questions, desquelles, et le pour et le contre,
est faux.
Ita finitima sunt falsa veris, ut in præcipitem locum
non debeat se sapiens committere
.
    La verité et le mensonge ont leurs visages conformes, le port,
le goust, et les alleures pareilles : nous les regardons de
mesme oeil. Je trouve que nous ne sommes pas seulement lasches à
nous defendre de la piperie : mais que nous cherchons, et
convions à nous y enferrer : Nous aymons à nous embrouïller en
la vanité, comme conforme à nostre estre.
    J'ay veu la naissance de plusieurs miracles de mon temps. Encore
qu'ils s'estouffent en naissant, nous ne laissons pas de prevoir le
train qu'ils eussent pris, s'ils eussent vescu leur aage. Car il
n'est que de trouver le bout du fil, on en desvide tant qu'on
veut : Et y a plus loing, de rien, à la plus petite chose du
monde, qu'il n'y a de celle la, jusques à la plus grande. Or les
premiers qui sont abbreuvez de ce commencement d'estrangeté, venans
à semer leur histoire, sentent par les oppositions qu'on leur fait,
où loge la difficulté de la persuasion, et vont calfeutrant cet
endroict de quelque piece fauce. Outre ce que,
insita hominibus
libidine alendi de industria rumores
, nous faisons
naturellement conscience, de rendre ce qu'on nous a presté, sans
quelque usure, et accession de nostre creu. L'erreur particulier,
fait premierement l'erreur publique : et à son tour apres,
l'erreur publique fait l'erreur particuliere. Ainsi va tout ce
bastiment, s'estoffant et formant, de main en main : de
maniere que le plus eslongné tesmoin, en est mieux instruict que le
plus voisin : et le dernier informé, mieux persuadé que le
premier. C'est un progrez naturel. Car quiconque croit quelque
chose, estime que c'est ouvrage de charité, de la persuader à un
autre : Et pour ce faire, ne craint point d'adjouster de son
invention, autant qu'il voit estre necessaire en son compte, pour
suppleer à la resistance et au deffaut qu'il pense estre en la
conception d'autruy.
    Moy-mesme, qui fais singuliere conscience de mentir : et
qui ne me soucie guere de donner creance et authorité à ce que je
dis, m'apperçoy toutesfois, aux propos que j'ay en main, qu'estant
eschauffé ou par la resistance d'un autre, ou par la propre chaleur
de ma narration, je grossis et enfle mon subject, par voix,
mouvemens, vigueur et force de parolles : et encore par
extention et amplification : non sans interest de la verité
nayfve : Mais je le fais en condition pourtant, qu'au premier
qui me rameine, et qui me demande la verité nuë et cruë : je
quitte soudain mon effort, et la luy donne, sans exaggeration, sans
emphase, et remplissage. La parole vive et bruyante, comme est la
mienne ordinaire, s'emporte volontiers à l'hyperbole.
    Il n'est rien à quoy communement les hommes soyent plus tendus,
qu'à donner voye à leurs opinions. Où le moyen ordinaire nous faut,
nous y adjoustons, le commandement, la force, le fer, et le feu. Il
y a du mal'heur, d'en estre là, que la meilleure touche de la
verité, ce soit la multitude des croyans, en une presse où les fols
surpassent de tant, les sages, en nombre.
Quasi veró quidquam
sit tam valdè, quàm nil sapere vulgare
.
Sanitatis
patrocinium est, insanientium turba
. C'est chose difficile de
se resoudre son jugement contre les opinions communes. La premiere
persuasion prinse du subject mesme, saisit les simples : de là
elle s'espand aux habiles, soubs l'authorité du nombre et
ancienneté des tesmoignages. Pour moy, de ce que je n'en croirois
pas un, je n'en croirois pas cent uns. Et ne juge pas les opinions,
par les ans.
    Il y a peu de temps, que l'un de nos princes, en qui la goute
avoit perdu un beau naturel, et une allegre composition : se
laissa si fort persuader, au rapport qu'on faisoit des
merveilleuses operations d'un prestre, qui par la voye des parolles
et des gestes, guerissoit toutes maladies : qu'il fit un long
voyage pour l'aller trouver : et par la force de son
apprehension, persuada, et endormit ses jambes pour quelques
heures, si qu'il en tira du service, qu'elles avoyent desapris luy
faire, il y avoit long temps. Si la fortune eust laissé emmonceler
cinq ou six telles advantures, elles estoient capables de mettre

Weitere Kostenlose Bücher