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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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estoit de la vivre mollement,
et plustost laschement qu'affaireusement ; elle m'a osté le
besoing de multiplier en richesses, pour pourvoir à la multitude de
mes heritiers. Pour un, s'il n'a assez de ce, dequoy j'ay eu si
plantureusement assez, à son dam. Son imprudence ne meritera pas,
que je luy en desire d'avantage. Et chascun, selon l'exemple de
Phocion, pourvoid suffisamment à ses enfants, qui leur pourvoid,
entant qu'ils ne luy sont dissemblables. Nullement seroy-je d'advis
du faict de Crates. Il laissa son argent chez un banquier, avec
cette condition : Si ses enfants estoient des sots, qu'il le
leur donnast ; s'ils estoient habiles, qu'il le distribuast
aux plus sots du peuple. Comme si les sots, pour estre moins
capables de s'en passer, estoient plus capables d'user des
richesses.
    Tant y a, que le dommage qui vient de mon absence, ne me semble
point meriter, pendant que j'auray dequoy le porter, que je refuse
d'accepter les occasions qui se presentent, de me distraire de
cette assistance penible. Il y a tousjours quelque piece qui va de
travers. Les negoces, tantost d'une maison, tantost d'une autre,
vous tirassent. Vous esclairez toutes choses de trop pres :
Vostre perspicacité vous nuit icy, comme si fait elle assez
ailleurs. Je me desrobe aux occasions de me fascher : et me
destourne de la cognoissance des choses, qui vont mal : Et si
ne puis tant faire, qu'à toute heure je ne heurte chez moy, en
quelque rencontre, qui me desplaise. Et les fripponneries, qu'on me
cache le plus, sont celles que je sçay le mieux. Il en est que pour
faire moins mal, il faut ayder soy mesme à cacher. Vaines
pointures : vaines par fois, mais tousjours pointures. Les
plus menus et graisles empeschemens, sont les plus persans. Et
comme les petites lettres lassent plus les yeux, aussi nous piquent
plus les petits affaires : la tourbe des menus maux, offence
plus, que la violence d'un, pour grand qu'il soit. A mesure que ces
espines domestiques sont drues et desliees, elles nous mordent plus
aigu, et sans menace, nous surprenant facilement à l'impourveu.
    Je ne suis pas philosophe. Les maux me foullent selon qu'ils
poisent : et poisent selon la forme, comme selon la
matiere : et souvent plus. J'y ay plus de perspicacité que le
vulgaire, si j'y ay plus de patience. En fin s'ils ne me blessent,
ils me poisent. C'est chose tendre que la vie, et aysee à troubler.
Depuis que j'ay le visage tourné vers le chagrin, nemo enim
resistit sibi cùm ceperit impelli, pour sotte cause qui m'y ayt
porté : j'irrite l'humeur de ce costé là : qui se nourrit
apres, et s'exaspere, de son propre branle, attirant et
ammoncellant une matiere sur autre, dequoy se paistre.
    Stillicidii casus lapidem
cavat 
:
    Ces ordinaires goutieres me mangent, et m'ulcerent. Les
inconvenients ordinaires ne sont jamais legers. Ils sont continuels
et irreparables, quand ils naissent des membres du mesnage,
continuels et inseparables.
    Quand je considere mes affaires de loing, et en gros : je
trouve, soit pour n'en avoir la memoire gueres exacte, qu'ils sont
allez jusques à cette heure, en prosperant, outre mes contes et mes
raisons. J'en retire ce me semble plus, qu'il n'y en a : leur
bon heur me trahit. Mais suis-je au dedans de la besongne, voy-je
marcher toutes ces parcelles ?
    Tum veró in curas animum diducimus
omnes 
:
    mille choses m'y donnent à desirer et craindre. De les
abandonner du tout, il m'est tres-facile : de m'y prendre sans
m'en peiner, tresdifficile. C'est pitié, d'estre en lieu où tout ce
que vous voyez, vous embesongne, et vous concerne. Et me semble
jouyr plus gayement les plaisirs d'une maison estrangere, et y
apporter le goust plus libre et pur. Diogenes respondit selon moy,
à celuy qui luy demanda quelle sorte de vin il trouvoit le
meilleur : L'estranger, feit il.
    Mon pere aymoit à bastir Montaigne, où il estoit nay : et
en toute cette police d'affaires domestiques, j'ayme à me servir de
son exemple, et de ses reigles ; et y attacheray mes
successeurs autant que je pourray. Si je pouvois mieux pour luy, je
le feroys. Je me glorifie que sa volonté s'exerce encores, et
agisse par moy. Ja Dieu ne permette que je laisse faillir entre mes
mains, aucune image de vie, que je puisse rendre à un si bon pere.
Ce que je me suis meslé d'achever quelque vieux pan de mur, et de
renger quelque piece de bastiment mal dolé, ç'a esté certes,
regardant plus à son intention, qu'à mon contentement. Et accuse

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