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Les Essais

Les Essais

Titel: Les Essais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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ma
faineance, de n'avoir passé outre, à parfaire les commencements
qu'il a laissez en sa maison : d'autant plus, que je suis en
grands termes d'en estre le dernier possesseur de ma race, et d'y
porter la derniere main. Car quant à mon application particuliere,
ny ce plaisir de bastir, qu'on dit estre si attrayant, ny la
chasse, ny les jardins, ny ces autres plaisirs de la vie retiree,
ne me peuvent beaucoup amuser. C'est chose dequoy je me veux mal,
comme de toutes autres opinions qui me sont incommodes. Je ne me
soucie pas tant de les avoir vigoureuses et doctes, comme je me
soucie de les avoir aisees et commodes à la vie. Elles sont bien
assez vrayes et saines, si elles sont utiles et aggreables.
    Ceux qui m'oyans dire mon insuffisance aux occupations du
mesnage, me viennent souffler aux oreilles que c'est desdaing, et
que je laisse de sçavoir les instrumens du labourage, ses saisons,
son ordre, comment on fait mes vins, comme on ente, et de sçavoir
le nom et la forme des herbes et des fruicts, et l'apprest des
viandes, dequoy je vis : le nom et prix des estoffes, de quoy
je m'abille, pour avoir à coeur quelque plus haute science, ils me
font mourir. Cela, c'est sottise : et plustost bestise, que
gloire : Je m'aymerois mieux bon escuyer, que bon
logicien.
    Quin tu aliquid saltem potius quorum indiget
usus,
Viminibus mollique paras detexere junco ?
    Nous empeschons noz pensees du general, et des causes et
conduittes universelles : qui se conduisent tresbien sans
nous : et laissons en arriere nostre faict : et Michel,
qui nous touche encore de plus pres que l'homme. Or j'arreste bien
chez moy le plus ordinairement : mais je voudrois m'y plaire
plus qu'ailleurs.
    Sit meæ sedes utinam senectæ,
Sit modus lasso maris, et viarum,
Militiæque
.
    Je ne sçay si j'en viendray à bout. Je voudrois qu'au lieu de
quelque autre piece de sa succession, m'on pere m'eust resigné
cette passionnee amour, qu'en ses vieux ans il portoit à son
mesnage. Il estoit bien heureux, de ramener ses desirs, à sa
fortune, et de se sçavoir plaire de ce qu'il avoit. La philosophie
politique aura bel accuser la bassesse et sterilité de mon
occupation, si j'en puis une fois prendre le goust, comme luy. Je
suis de cet avis, que la plus honorable vacation, est de servir au
publiq, et estre utile à beaucoup.
Fructus enim ingenii et
virtutis, omnisque præstantiæ tum maximus accipitur, quum in
proximum quemque confertur
. Pour mon regard je m'en
despars : Partie par conscience : (car par où je vois le
poix qui touche telles vacations, je vois aussi le peu de moyen que
j'ay d'y fournir : et Platon maistre ouvrier en tout
gouvernement politique, ne laissa de s'en abstenir) partie par
poltronerie. Je me contente de jouïr le monde, sans m'en
empresser : de vivre une vie, seulement excusable : et
qui seulement ne poise, ny à moy, ny à autruy.
    Jamais homme ne se laissa aller plus plainement et plus
laschement, au soing et gouvernement d'un tiers, que je ferois, si
j'avois à qui. L'un de mes souhaits pour cette heure, ce seroit de
trouver un gendre, qui sçeust appaster commodément mes vieux ans,
et les endormir : entre les mains de qui je deposasse en toute
souveraineté, la conduite et usage de mes biens : qu'il en
fist ce que j'en fais, et gaignast sur moy ce que j'y gaigne :
pourveu qu'il y apportast un courage vrayement recognoissant, et
amy. Mais quoy ? nous vivons en un monde, où la loyauté des
propres enfans est incognue.
    Qui a la garde de ma bourse en voyage, il l'a pure et sans
contreroolle : aussi bien me tromperoit il en comptant. Et si
ce n'est un diable, je l'oblige à bien faire, par une si abandonnee
confiance.
Multi fallere docuerunt, dum timent falli, et aliis
jus peccandi suspicando fecerunt
. La plus commune seureté, que
je prens de mes gens, c'est la mescognoissance : Je ne presume
les vices qu'apres que je les ay veuz : et m'en fie plus aux
jeunes, que j'estime moins gastez par mauvais exemple. J'oy plus
volontiers dire, au bout de deux mois, que j'ay despandu quatre
cens escus, que d'avoir les oreilles battues tous les soirs, de
trois, cinq, sept. Si ay-je esté desrobé aussi peu qu'un autre de
cette sorte de larrecin : Il est vray, que je preste la main à
l'ignorance : Je nourris à escient, aucunement trouble et
incertaine la science de mon argent : Jusques à certaine
mesure, je suis content, d'en pouvoir doubter. Il faut laisser un
peu de place à la desloyauté, ou imprudence de

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