Les fiancés de Venise
cravate.
— Par ailleurs, le motif m’échappe. Quel intérêt Maximilien aurait-il eu à faire assassiner sa maîtresse ?
— Peut-être en savait-elle assez pour le faire chanter ? L’archiduc ne peut pas se permettre d’être compromis, pas en ce moment.
Tron fronça les sourcils, posa le bout de ses doigts les uns contre les autres et appuya le menton sur ses mains. Il regarda son subordonné dans le blanc des yeux.
— Tout cela reste de l’ordre de la spéculation, sergent.
— Mais quelle autre raison Schertzenlechner aurait-il eu de tuer cette jeune femme ? s’obstina-t-il avec détermination. Et pourquoi se soucie-t-on de cette affaire à Miramar ?
Il s’appuya si fort contre le dossier de sa chaise que le bois fit entendre un dangereux craquement.
— Quel commentaire Spaur a-t-il fait à propos du médaillon ? Pense-t-il que l’archiduc pourrait avoir entretenu Anna Slataper ?
Le commissaire haussa les épaules.
— Je ne sais pas.
C’était la vérité. Tron supposait que la possible infidélité de sa propre maîtresse occupait seule l’esprit du commandant en chef.
— Il ne s’est pas prononcé à ce sujet. Néanmoins, il exige un rapport quotidien sur son bureau. En outre, un autre problème le tracasse, en ce moment.
Tron s’éclaircit la gorge.
— Spadeni, notre collègue de Trieste, lui a transmis un tuyau. Il s’agit d’une femme qui…
Il plissa les yeux pour se concentrer. C’est déjà un bon début avec Spadeni. Seulement, quel indice pourrait-il bien lui avoir fourni ? Faute de mieux, il reprit :
— D’une receleuse de haute volée qui vend des bijoux… euh… dérobés. Spaur veut que nous suivions cette piste de près et rassemblions des preuves.
La fable n’était guère convaincante, mais le sergent la goberait sans doute.
Déjà, il sortait son crayon.
— Où habite-t-elle ?
— Dans la calle Speranza. La maison avec le marchand de légumes au rez-de-chaussée.
— Et que souhaite le baron ?
— Surveillance de la suspecte et de l’immeuble, répondit Tron sur un ton sec et militaire. La personne cible ne doit en aucun cas remarquer qu’on l’observe.
Mon Dieu ! Voilà qu’il parlait maintenant comme s’il préparait lui-même le concours d’inspecteur. Au mot personne cible , Bossi avait écarquillé les yeux. Aucun doute qu’il ajouterait sans tarder ce terme à son vocabulaire. Il réfléchit un court instant, puis suggéra :
— Nous pourrions charger deux agents de nuit de surveiller la suspecte et l’immeuble…
— Pas de policiers ! l’interrompit Tron. Prenez des mouchards. Qu’en est-il des deux voleurs à la tire ?
— Arcoli et Fretti ?
— Oui. Travaillent-ils toujours pour nous ?
— Bien sûr !
— Dans ce cas, confiez-leur la filature.
— Vingt-quatre heures sur vingt-quatre ?
Tron hocha la tête.
— Et que faisons-nous de Schertzenlechner ?
— Pour le moment, dit le commissaire, nous savons simplement qu’il est le secrétaire particulier de l’archiduc, qu’il boite, qu’il entretient des contacts avec Gutiérrez et que, lundi, il était à Trieste – pour la réception de la délégation mexicaine.
Bossi se pencha en avant ; sa chaise craqua de nouveau.
— Il s’agit maintenant de découvrir…
— S’il était à Venise dimanche dernier, l’interrompit son patron. Dans ce cas, il a pris le bateau de minuit et son nom figure sur la liste des passagers.
— Ce n’est pas difficile à vérifier, dit Bossi en inscrivant une note dans son carnet.
— De plus, reprit Tron, je voudrais savoir à qui appartient l’immeuble dans lequel vivait Anna Slataper et qui payait le loyer.
Le sergent eut l’air étonné.
— S’il ressort que Schertzenlechner versait l’argent et qu’il se trouvait à Venise dimanche, vous… ?
— Je m’en entretiendrai avec Spaur. Mais pas avant.
Le sergent bondit de sa chaise et se passa une main dans ses cheveux châtains qui restèrent dressés sur sa tête. Il avait le visage légèrement rouge et une flamme sombre brillait dans ses yeux, signe chez lui d’une grande excitation.
— Vous venez, commissaire ?
« J’aimerais bien, pensa Tron. Ce serait mieux que travailler à la ruine de l’ Emporio . » Il fit un sourire en coin et dit :
— Une obligation urgente me retient.
D’un signe de la main, il désigna le tas de poèmes, faisant semblant de ne pas remarquer le regard étonné de son
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