Les Filles De Caleb
de son homme, ça lui coupe l’appétit.
— Tu m’as pas fait partir parce que tu voulais avoir l’appétit coupé?
— Non, je t’ai fait partir parce que je voulais m’ennuyer. Parce que je savais qu’il y a rien de mieux que l’ennui pour ...»
Elle ne termina pas sa phrase, Ovila grognant déjà du plaisir de la retrouver plus belle qu’elle ne l’avait été depuis la naissance de Marie-Ange. Ils ne prirent pas la peine de souper et s’endormirent, bien au chaud, après qu’Ovila l’eut forcée de fermer les yeux et d’ouvrir le paquet mal ficelé qu’il avait apporté.
«Etant donné les circonstances, tu vas avoir ton cadeau de fête tout de suite.»
Le paquet contenait deux paires de raquettes. Émilie le remercia chaudement et lui promit qu’ils les étrenne- raient le lendemain, immédiatement après avoir mangé.
La promesse fut tenue. Elle et Ovila passèrent plusieurs heures à marcher dans le sous-bois. Émilie avait rapidement compris le principe de la marche en raquettes et s’amusait du fait qu’elle avait l’impression d’être suspendue au-dessus de la neige.
La magie de l’isolement avait agi et ni Émilie, ni Ovila ne pensèrent aux trois petites qu’ils avaient laissées derrière. Ovila était tout à Émilie qui le lui rendait bien. Ils passèrent plus de deux jours dans un temps hors du temps. Un intermède entre des journées tellement pleines de quotidien qu’ils avaient peine à s’y retrouver. Ils étaient rentrés le lendemain de l’anniversaire d’Émilie et Éva les avait grondés parce qu’ils n’avaient pas profité plus longtemps de leur petite escapade.
Émilie et Ovila s’étaient finalement rendu compte que leurs petites leur manquaient et ils étaient rentrés à la hâte. Émilie s’inquiétait des conséquences de son absence sur Rose. Ovila avait hâte de mieux connaître Louisa.
Rose, heureusement, avait continué dans la bonne voie et ses parents osaient croire que le médecin s’était peut- être trompé ou, à tout le moins, avait exagéré les conséquences du manque d’air. Marie-Ange commençait à s’affirmer et Louisa était resplendissante. Les Fêtes lurent parfaitement réussies et Émilie se demanda si elle n’aurait pas pu aller à Saint-Stanislas. Ovila lui fît remarquer qu’elle aurait eu un long trajet à faire avec deux bébés et une Rose agitée. Émilie concéda qu’il avait raison.
«L’année prochaine, Emilie, on devrait pouvoir y aller.
— Si on n’a pas un autre p’tit d’ici là.
— Crains pas. La nature nous a bien gâtés depuis deux ans. Elle va nous laisser tranquilles un peu.»
La nature n’avait pas entendu les propos d’Ovila et Émilie lui annonça au mois de février qu’elle allait être mère, encore une fois. Heureusement, elle l’avait annoncé en riant. Ovila s’était senti terriblement coupable.
«Je comprends pas, Émilie. On passe un temps de fou à attendre notre deuxième pis après ça, on dirait qu’on en fait un par année.
— Faut croire que la nature a décidé de me donner tous les enfants qu’il me faut avant mes trente ans.»
Ovila, au grand bonheur d’Émilie, s’était trouvé du travail à la nouvelle manufacture de portes et châssis de William Dessureault. Il n’était pas retourné au chantier. Émilie, sereine dans sa nouvelle grossesse, n’avait plus ressenti le besoin de l’éloigner. Ovila, par contre, trouvait les journées et les soirées un peu longues. Aussi prit-il l’habitude, après ses heures de travail, de faire un arrêt à l’hôtel, question de parler un peu avec les hommes avant d’entrer. Émilie ne lui avait fait aucun reproche, sauf en de rares occasions où, visiblement, il avait parlé trop longtemps.
«Ça me dérange pas que tu arrêtes à l’hôtel une fois de temps en temps, mais quand tu arrives, j’aimerais ça que tu sois ici.
— Comment ça? Quand j’arrive, je suis ici.
— Des fois oui, des fois non, Ovila. Des fois tu es bien assis dans ta chaise, mais tu as pas l’esprit bien bien alerte. »
Ovila avait grimacé et, le reste de l’hiver, il avait essayé de limiter ses conversations à la durée d’un verre.
Le printemps arriva sans crier gare à la fin de mars. Au début d’avril, la neige avait fondu comme par enchantement, laissant rapidement paraître l’herbe fanée d’avoir supporté la lourde
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