Les Filles De Caleb
à cet endroit, pensa-t-il. Il s’étira et rota. Il ouvrit la porte de la chambre puis se rappela qu’il n’avait pas vérifié le sommeil de ses filles. Laissant la lampe dans la cuisine, il se dirigea vers la chambre de Rose. Elle dormait paisiblement. Il l’embrassa tout en soupirant. Que deviendrait sa Rose? Il se dirigea ensuite à tâtons vers l’autre chambre. Marie-Ange dormait sur le dos, les bras en croix et les jambes écartées. Il sourit. Il s’approcha du berceau de Louisa. Comme toujours, elle était recroquevillée sur elle-même, la tête légèrement sur le côté, encadrée de ses deux bras et de ses petits poings fermés.
Ovila sortit de la chambre et referma la porte doucement. Il sourit à sa paternité puis grimaça en pensant à Emilie. Il lui faudrait s’excuser dès qu’elle ouvrirait les yeux. Il revint dans la cuisine, troublé par quelque chose qu’il ne réussissait pas à identifier. Il commença à déboutonner sa chemise. La cuisine était bercée par le silence que seul le tic-tac de l’horloge venait troubler. C’est le cœur de notre maison, pensa Ovila. Le cœur de notre maison remplie d’Emilie et de moi-même. Il s’assit à nouveau dans la berceuse et écouta. Il cherchait un son mais il aurait été bien incapable d’identifier le son qu’il cherchait. Il se sourit encore une fois, reconnaissant en son attitude quelque chose de semblable à ce qu’il faisait quand il chassait. Il écoutait, toujours, l’oreille tendue. Sans comprendre, il se rendit compte que sa gorge s’était nouée. Qu’est-ce qu’il y avait qui pouvait tant le troubler? Le chagrin d’Émilie? Ses yeux lourds de reproches? Non, elle n’avait pas eu les yeux si réprobateurs ce soir. Oui, un peu, mais pas assez pour qu’il ressente ce malaise étrange. Il ferma les yeux et essaya de revivre chacun de ses mouvements, chacune des phrases d’Émilie depuis son retour. Le rythme de son cœur accéléra. Il revit Émilie le quitter pour aller dormir. Puis il revit la tache noire qu’avait imprimée le tabac brûlant sur le plancher. Il revit Rose, puis Marie-Ange. Il pensa à Louisa. Louisa. Son cœur accéléra encore. Louisa. Toute recroquevillée comme d’habitude. Louisa... Il bondit sur ses pieds, empoigna la lampe et courut dans la chambre du bébé. Marie-Ange, que la lumière avait indisposée, se retourna en grognant un peu. Ovila s’approcha du berceau, sur la pointe des pieds. Il leva la lampe au-dessus de la tête de Louisa.
«Émilie! Émilie! Oh! non... Émilie!»
Marie-Ange, éveillée en sursaut, regardait son père en lui retournant ses hurlements. Rose s’était levée et s’approchait de la porte. Emilie accourait, le visage terrorisé par le cri de douleur qui venait de la tirer du sommeil dont elle avait réussi à se débarrasser en une fraction de seconde. Elle ne vit pas le trajet entre sa chambre et celle de ses deux plus jeunes. Elle repoussa Rose qui lui obstruait le chemin et pénétra dans la chambre.
Émilie figea devant l’ombre que la lampe projetait au mur. Ovila avait une poupée dans les mains, une poupée désarticulée dont la tête tombait à l’arrière et un bras ballottait au rythme qu’il lui imposait par son bercement. Puis les yeux d’Émilie quittèrent l’ombre et descendirent lentement vers Ovila. Il était prostré, la lampe posée par terre à côté de lui, Louisa dans les bras. Rose tira sur la robe de nuit de sa mère. Pour toute réponse, elle reçut une taloche. Elle s’éloigna en pleurant et se réfugia près de Marie-Ange qui n’avait pas encore cessé ses hurlements, Elle lui donna une tape, comme venait de le faire sa mère, et Marie-Ange se tut, saisie.
Émilie approcha lentement d’Ovila. Elle marcha pendant ce qui lui sembla être des heures, des jours et des nuits. Puis elle fut à côté de lui. Elle se pencha lentement, regarda son visage inondé de larmes, puis accrocha son regard au teint de Louisa. Émilie étouffait. Saisie d’une folie soudaine, elle donna un violent coup de poing à Ovila et lui arracha Louisa des bras. Elle la secoua énergiquement, la prit par les jambes en lui laissant tomber la tête tout près du plancher, la remit à l’endroit, lui tapocha le dos de plus en plus fort. Maintenant elle criait.
«Réveille, Louisa! Réveille-toi! »
Elle ouvrit toute grande sa robe de nuit et se découvrit un sein. Ovila la regardait, crispé de chagrin. Elle savait bien qu’elle n’avait
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