Les Filles De Caleb
retour. Elle avait souventes fois regretté son initiative, mais son miroir lui disait qu’elle avait eu raison. Elle reconnaissait maintenant celle qui avait séduit Ovila. Elle s’était fait une nouvelle robe fermée par un lacet qu’elle pourrait serrer davantage si elle perdait encore du poids. Félicité et Éva lui offrirent de garder les enfants pour quelques jours. Elle refusa, alléguant que les petites seraient maussades de ne pas reconnaître leur décor familier.
«Si c’est rien que ça ton problème, Éva pis moi on va les garder ici même. Ovila a dit qu’il serait arrivé pour ta fête. Ça veut dire que le réveillon va être pas mal prêt déjà. Pourquoi que vous iriez pas au lac à la Perchaude pour deux jours?»
Émilie refusa avec véhémence. Leur laisser tout le travail? Jamais. Cela n’avait aucun sens. Mais la pensée de se retrouver seule avec Ovila, la pensée de dormir le matin, bien au chaud sous son aisselle, la pensée de ne pas entendre pleurer d’enfant, la pensée de regarder passer le temps au lieu d’être obligée de le chevaucher, la séduisaient. Elle accepta l’offre de sa belle-mère. Félicité se contenta de sourire et de lui rappeler que la jeunesse ne passait qu’une fois.
«Jeunesse? Vous voulez rire, madame Pronovost. J’vas avoir vingt-sept ans. Je suis pus une jeunesse.
— Toi, peut-être pas, Émilie, mais oublie pas qu’Ovila, lui, est plus jeune», ironisa Félicité.
Émilie se regarda dans le miroir encore plus désespérément. Elle avait plus de cheveux blancs, mais Ovila aussi en avait maintenant quelques-uns, parsemés dans son épaisse chevelure. Mais elle n’avait pas de rides. Pas une seule ride.
Ovila arriva six jours avant Noël. Émilie avait eu un pressentiment et, le matin du dix-neuf, elle avait mis beaucoup de soin à se coiffer, avait enfilé une robe qu’elle n’avait pu porter depuis deux ans et avait astiqué la maison sans relâche. Elle avait même réussi à libérer la corde à linge de toutes les couches qui y étaient suspendues. Heureusement, Rose était redevenue propre et sage. Elle donnait même le biberon à Louisa, que les coliques avaient presque abandonnée, lui permettant de dormir ses nuits.
L’instinct d’Émilie ne l’avait pas trompée. Ovila arriva au début de l’après-midi. Émilie, Rose et Marie-Ange se précipitèrent à son cou. Il ne put empêcher l’émotion de le gagner. La maison lui semblait maintenant accueillante, remplie de bonne humeur. Éva ne permit pas à son frère d’enlever son manteau. A peine eut-il déposé ses filles par terre qu’elle lui remplit les bras de provisions, lui ordonnant d’aller atteler une carriole.
«Si c’est pour les porter chez le père, je peux marcher. Pis il y a pas de presse. C’est quoi ces manies de me mettre à la porte quand je viens juste d’arriver?»
Éva se contenta de le pousser dehors. Dès qu’il eut franchi le seuil de la porte, Émilie enfila son manteau et prit la valise qui attendait sous le lit depuis deux jours. Elle embrassa ses enfants et sa belle-sœur et sortit rejoindre Ovila. Il sursauta quand elle lui donna une légère tape dans le dos. Il ne l’avait pas entendue venir, tout occupé à fixer le mors de la bête.
«Veux-tu me dire...»
Elle ne le laissa pas terminer sa phrase, utilisant ses lèvres pour le bâillonner. Quand ils reprirent leur souffle, elle lui indiqua leur destination.
«Les enfants?
— Bien gardés par ta mère pis ta sœur.
— Le réveillon?
— Bien prêt. Des femmes pas d’hommes, ça a les mains dans la pâte du matin jusqu’au soir.
— Mes affaires?
— Dans la valise que tu vas te dépêcher de monter dans la carriole avant que je me fâche.»
Et ils étaient partis en riant. Ovila n’avait pris qu’une minute pour embrasser ses filles pendant qu’Emilie avait tenu l’attelage. A son retour, il y avait déposé un énorme paquet mal ficelé.
«Tu es une drôle de mère toi, ma belle brume.
— Pantoute. Je serais pas une mère si j’avais pas été une femme. »
Les jeunes frères d’Ovila étaient allés au lac chauffer le poêle. A leur arrivée, Ovila et Emilie enlevèrent leurs manteaux, puis Ovila s’attaqua immédiatement à la robe d’Émilie.
«Tu as bien maigri! As-tu mangé au moins?
— Pas une miette. C’est bien connu. Quand une femme est en manque
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