Les Filles De Caleb
pendant deux mois. La seule gratitude qu’elle eut à ce moment fut que les enfants n’eussent pas semblé comprendre qu’il était revenu et reparti en moins de douze heures.
Durant tout le temps que dura son absence, elle se refusa à l’attendre. Elle contint sa colère et ne souffla mot de sa courte visite qu’à son beau-père, qui avait cru le voir sur la route. Il avait froncé les sourcils et noté qu’Ovila avait beaucoup changé. Émilie ne pleura que lorsque le médecin lui annonça qu’elle était bel et bien enceinte. Elle avait refusé de le croire, certaine qu’une nuit, qu’une courte nuit, n’avait pu servir de toile de fond à la création d’une nouvelle vie.
Ovila rentra. Émilie l’ignora presque complètement, se contentant de lui dire que son bagage était prêt depuis longtemps. Ovila prit un bain, s’amusa avec les enfants, puis accrocha sa valise d’une main pendant qu’il tenait la poignée de la porte de l’autre.
«J’espère que tu m’excuseras, Emilie. Il y a des choses que moi-même je comprends pas. Prends soin de toi pis des p’tits.
— Quand je t’ai marié, Ovila, c’était parce que toi tu voulais prendre soin de moi. Si c’était trop difficile, tu avais juste à rester vieux garçon. J’aurais survécu. Pour ce qui est des enfants, je voudrais quand même pas que tu partes sans savoir qu’on va en avoir un autre quelque part en novembre. Je sais que tu seras pas là, mais comme ça quand tu vas rentrer entre deux chantiers, tu seras pas étonné de me voir encore grosse. »
Ovila hocha la tête, posa sa valise et vint l’embrasser dans les cheveux.
«Je sais que tu peux pas comprendre, Émilie, mais je t’aime. Bien mal, mais je t’aime, ma belle brume.»
Émilie se leva pour le regarder par la fenêtre. Elle avait lu son chagrin dans ses grands yeux pleins de larmes. Où était son Ovila? Son beau grand fou? Et elle, où était- elle?
Ovila écrit à Émilie pour lui dire qu’il s’était trouvé du travail sur un chantier de la Laurentide Pulp. Il la rassura en lui racontant qu’il consacrait la plus grande partie de son temps à la construction d’un barrage et de quais. Le contremaître lui avait demandé de surveiller le ruisseau afin qu’il ne s’obstrue pas. Il vivait dans une tente, avec d’autres hommes. Il lui dit aussi que dès que ce travail serait terminé, il serait affecté à la sweep, qui consistait à remettre à l’eau les billes échouées sur les rives. Il continua sa lettre en lui disant qu’il travaillerait sept jours par semaine au moins jusqu’à la fin de l’été et qu’il espérait mettre pas mal d’argent de côté, étant donné qu’il touchait quinze cents l’heure et qu’il travaillait de cinq heures et demie du matin à huit heures et demie du soir. Il lui demanda de faire elle-même le calcul.
Emilie regarda le calendrier. Elle comprit qu’il ne reviendrait probablement qu’aux Fêtes. A la Toussaint, elle mit au monde un second fils, qu’elle baptisa Joseph Paul Ovide. Elle écrivit à Ovila pour lui demander s’il préférait appeler son fils Paul ou Ovide. Ovila lui répondit qu’il préférait Paul. Paul commença donc son existence, bien couvé par sa mère et ses sœurs, ignorant l’existence de son père qui, à ce moment précis, travaillait comme charretier dans un nouveau camp.
Ovila ne vint pas aux Fêtes. Émilie n’en fut qu’un peu attristée, commençant à reprendre goût à la solitude et à la simplicité des journées passées sans adultes dans son entourage. Avec ses cinq enfants, elle avait les mains pleines et se demandait comment elle aurait pu trouver le temps de consacrer quelques minutes de sa journée à son homme. Cette année-là, il rentra à la fin mai...sans un sou et sans emploi. Émilie pleura de désespoir. Comment allait-elle réussir à nourrir tous ses enfants?
«Tu m’as dit de calculer combien on aurait ... laisse-moi te dire que dans mes calculs, on en avait pas mal plus que ce que tu rapportes. »
Ovila ne répliqua pas, se contentant de s’excuser et de lui promettre que la prochaine fois il ne dépenserait pas un seul sou avant de rentrer.
«Tu bois trop, Ovila. Tu bois tout le temps. C’est pas la première fois que ça t’arrive de perdre une jobbe. On a cinq enfants, Ovila. Faudrait que tu commences à penser à eux autres.
— Pourquoi est-ce que tu penses que je me fends le derrière hein? Pourquoi
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