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Les Filles De Caleb

Titel: Les Filles De Caleb Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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sa vie. Il s’agenouilla devant le corps de son plus vieil et plus cher ennemi. Il sanglota comme un enfant dont le jouet préféré vient de se briser. Célina s’éloig’na, pensant que Veillette n’avait pas besoin de témoins. Emilie, elle, s’approcha, lui posa une main sur l’épaule et lui murmura que son père devait être bien triste d’avoir, le premier, mis fin à ce jeu de la petite guerre qui durait depuis près d’un demi-siècle. Veillette souleva les épaules puis commença à ricaner à travers ses sanglots.
    «Ce maudit-là va rire quand il va voir que je braille comme un veau. On a passé notre vie à nous haïr, parce que si le monde avait su qu’on se haïssait pas, le monde aurait pas eu d’histoires à raconter. Mais, entre vous pis moi, madame, votre père pis moi, on s’est toujours donné un coup de main. Ça, personne l’a jamais su.»
    Caleb fut déposé dans le caveau du cimetière, la terre trop gelée refusant de laisser ouvrir ses entrailles pour l’accueillir. Emilie demanda au bedeau de la paroisse, un de ses cousins, de lui faire savoir la date de la mise en terre, même si elle n’avait lieu que dans plusieurs mois. Le bedeau lui répondit qu’il ferait son possible, ce qu’il oublia complètement le moment venu.
    Le retour fut presque aussi silencieux que l’aller. Tantôt Émilie éclatait en sanglots, berçant sa tristesse d’avoir si peu vu son père depuis son départ de la maison. Tantôt elle éclatait de rire, racontant alors à Edmond et à Ovila quelque souvenir cocasse. Puis elle se taisait, revivant des instants, des émotions, des images, des sons et même des conversations. Son père lui manquerait. Son père lui manquerait terriblement. Malgré la brouille si opaque qui les avait éloignés l’un de l’autre. Malgré leur incompréhension mutuelle. Malgré tout ce qui n’avait pas été parfait, son père venait de rejoindre ses bons souvenirs. Ceux de la liberté qu’il lui avait permis d’avoir. Ceux du respect et de la fierté qu’il lui avait témoignés, même à travers un grincement de dents. Ceux de ses innombrables surprises emballées dans des petites ou des grandes joies.
    Emilie remercia le ciel des centaines de fois de l’avoir amenée à Saint-Stanislas au début de cette nouvelle année pour recevoir la bénédiction des retrouvailles, qui était finalement devenue celle des adieux. Le premier janvier, Caleb s’était servi de ses mains pour former une croix sur ses enfants et sa descendance. Le premier janvier, Caleb avait utilisé ses yeux en guise de goupillon, pour les asperger de son émoi et de sa reconnaissance. Le cinq janvier, Caleb les avait quittés sans avoir eu le temps de revivre toutes les précieuses minutes passées en leur présence.
    Ovila et Emilie apprirent ensemble à battre d’une seule aile. En dix-huit mois, tous les deux s’étaient retrouvés orphelins de père. Ovila pensa qu’Emilie et lui avaient pu éviter de vivre deux morts semblables. Leur courte visite à Saint-Stanislas leur avait permis à tous deux d’éliminer la lourdeur d’un second remords. Ovila envia quand même un peu sa femme. A lui, cette chance n’avait pas été donnée. Quand Emilie hérita à nouveau, il s’abstint de commentaires. Il savait qu’elle avait maintenant quinze cents dollars à la banque. Il savait aussi qu’elle ne lui en donnerait jamais, même s’il continuait d’être ce qu i, était depuis la mort de Dosithée. Il avait semé la méfiance et la méfiance avait envahi l’âme de sa femme comme la teigne.
    Au début d’avril, Télesphore arriva sans tambours ni trompettes fêter Pâques avec sa famille. Félicité fit cuire une fesse de jambon bien dodue et bien fumée qu’elle piqua de clous de girofle. Elle regarda ses enfants qui mangeaient de bon appétit et sourit à la vie. Dosithée ne l’avait pas laissée seule.
    «Pis, mon Télesphore, ton cours, ça va bien?
    —        Si ça va bien? Ça va mieux que ça. J’en sais assez astheure pour ouvrir ma bijouterie à moi!
    —        Ici à Saint-Tite? demanda sa mère.
    —        Non, je penserais pas. C’est pas que ça me tenterait pas, mais il y a pas assez de monde qui a les moyens d’acheter des bijoux par ici. J’vas plutôt ouvrir ça à Shawinigan. Avec toutes les usines de pulp and paper, il y a bien des familles, bien des salaires...ce qui veut dire bien des acheteux. »
    Le lundi de Pâques, Télesphore

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