Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Les Filles De Caleb

Titel: Les Filles De Caleb Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
Vom Netzwerk:
sous ses yeux Le message était laconique et sans appel. Sa mère avait passé une nuit troublée à lutter contre le poids du corps de son père qui n’avait cessé d’envahir «son côté du lit». Elle avait passé la nuit à lui dire de se déplacer. Mais il n’avait pas bougé. Au matin, elle s’était rendu compte qu’elle avait dormi avec la mort. Que son corps chaud de vie avait vainement chauffé la grande froidure qui avait pris possession de celui de son mari.
    Émilie ne lut pas le message une seconde fois. Elle demanda à Marie-Ange d’atteler sa carriole. Marie-Ange obéit, aidée d’Émilien. Émilie endossa son manteau et partit au village chercher Ovila. Elle glissa dangereusement sur une neige glacée par la pluie qui était tombée la veille. Ses larmes coulaient tellement de ses yeux qu’elle eut l’impression d’inonder un chemin déjà saturé d’eau gelée.
    Elle ne dit qu’une phrase à Ovila. Il enleva son tablier graisseux, s’essuya les mains avec du papier journal, la quitta pour dire un mot à son patron et revint pour l’accompagner. Elle lui passa les commandes de la carriole et se réfugia sous la peau d’ours. Dans ses pensées.
    «Je fais les valises.
    —        Les chemins sont trop glissants, Emilie. On pourra jamais se rendre tout d’un morceau.
    —        Si tu as peur, Ovila, reste ici. Moi, rien va m’arrêter. »
    Ovila connaissait assez bien sa femme pour savoir que tous les arguments qu’il pourrait trouver ne réussiraient pas à la fléchir. Elle irait à l’enterrement de son père, dût- elle marcher la distance qui séparait les deux villages.
    «Va voir Edmond. Demande-lui de nous prêter sa Ford à coups de pied. Avec des sacs de cendre, des briques pis des bonnes pelles, on pourrait se rendre.»
    Ovila n’avait pas pensé à cette solution. Jamais il n’aurait osé demander la belle machine que son frère avait achetée. Jamais il n’aurait pensé qu’on pouvait emprunter une machine. Mais il le ferait.
    Edmond accepta, à condition de conduire lui-même. Ovila en fut presque soulagé. Au moins, s’ils capotaient dans un fossé, il ne serait responsable de rien.
    Ils furent à Saint-Stanislas en la moitié moins de temps que s’ils avaient pris une carriole. Les sœurs d’Emilie et ses frères Rosaire et Napoléon étaient déjà aux côtés de leur mère, qui sanglotait l’horreur de sa dernière nuit d’épouse. Caleb reposait paisiblement dans le salon que Célina n’avait même pas épousseté tant elle avait été accablée par la soudaineté de la disparition de son mari. Émilie se précipita dans les bras de sa mère puis elle s’approcha de son père, le regarda longuement, incapable d’empêcher un sourire de se faufiler à travers les larmes de sa peine. Elle resta là, immobile pendant une éternité, à repenser à son père, ce père qu’elle avait tant craint et tant aimé. Ce père ambitieux et timide. Ce père qui lui avait toujours reproché son entêtement, comme s’il n’avait pu souffrir de se reconnaître sous ce trait de caractère qu’elle avait hérité de lui.
    Elle se rapprocha encore du corps inanimé et sans même s’en rendre compte, elle lui lissa cette mèche qui, même dans la mort, demeurait rebelle. Elle alla à la cuisine se mouiller les doigts et les enduire de savon. Elle revint et colla la mèche, comme elle l’avait fait le matin de ses noces. Elle sortit un peigne de son sac à main et entreprit de refaire la raie dans les cheveux gris et gras de son père. Elle centra son nœud de cravate, épousseta le revers de son col d’habit et replaça le chapelet dans ses doigts figés. Il portait au majeur de sa main droite la marque de sa dernière maladresse. Elle pensa qu’il avait dû se couper. Elle plissa les yeux pour bien regarder si elle n’avait rien négligé. Rassurée quant à l’apparence de son père pour son arrivée dans l’au-delà, elle lui posa un baiser sur le front en lui demandant silencieusement de ne pas trop jurer, de ne pas trop faire rire et de l’aider, elle, sa grande mule, pendant ces jours et ces jours qu’il lui restait à vivre. Elle eut l’impression qu’il avait souri. Mais c’était ses larmes à elle qui avaient animé la fixité des lèvres de Caleb.
    Elzéar Veillette entra dans le salon, se tenant faiblement sur une canne. Célina trouva la force de se lever pour l’accueillir. Veillette venait visiter Caleb pour la première fois de

Weitere Kostenlose Bücher