Les Filles De Caleb
nettoyer. Les enfants, excités à l’idée de faire le plus beau cadeau pour leur père, retroussèrent leurs manches et travaillèrent d’arrache-pied jusqu’à ce que Marie-Ange vînt les chercher pour la soupe du midi. Ils mangèrent à toute vitesse et reprirent leur travail. Clément, le plus jeune, remplit de clous et de vis tous les pots que sa mère lui avait donnés. Il les ramassa soigneusement, un à un, et s’amusa de les entendre tinter au contact du verre ou du métal. Paul rangea sur les tablettes fixées au dessus de l’établi tous les contenants qui s’y trouvaient, par ordre de grandeur. Blanche lava les fenêtres et les essuya avec de vieux journaux. Émilien porta toutes les ordures à l’extérieur. Tout ce qui pouvait brûler fut entassé dans le baril métallique servant à cette fin et tout ce qui ne pouvait pas être détruit était empilé derrière le bâtiment. Rose balaya le local à trois reprises puis épousseta tout ce qu’elle pouvait épousseter. Émilie sortit chacun des outils des tiroirs où ils avaient été lancés en vrac, brossa à la laine d’acier tous ceux qui avaient rouillé, les huila et entreprit d’aiguiser scies, rabots et ciseaux à bois sur la meule débarrassée de ses toiles d’araignées.
Marie-Ange vint les avertir que le souper était prêt. En entrant, elle poussa un grand cri de joie.
«On dirait que tout est neuf ici!»
Émilie et les enfants s’essuyèrent le front et revinrent tous à la maison, chancelants de fatigue, portant chaudières, guenilles et Clément en se tramant les pieds. Ils mangèrent comme des ogres et prirent un bain. Émilie se lava la première puis revêtit sa robe de chambre. Elle céda la cuve à Rose. Marie-Ange passa, soutenant qu’elle n’était pas aussi sale que les autres. Émilien et Paul s’arrosèrent ensemble. Blanche accepta de se baigner avec Clément et de lui frotter le dos et les oreilles. Émilie, pendant ce temps, prépara Jeanne et Alice pour la nuit et les coucha. Clément les suivit sans se faire prier.
Tous les autres s’assirent au salon, attendant leur père avec impatience. Émilie autorisa Paul et Blanche à veiller jusqu’à sept heures et demie.
«Si votre père est pas arrivé à cette heure-là, vous monterez vous coucher. Mais il devrait être arrivé. Émilien, toi, tu pourras attendre jusqu’à huit heures. Rose pis Marie- Ange, jusqu’à neuf heures.»
Les enfants étaient tellement fatigués qu’ils ne discutèrent pas. Ils étaient assis, en silence, regardant l’horloge. Emilie pria qu’Ovila ne choisisse pas ce soir-là pour retarder.
L’horloge sonna les sept heures, puis le quart d’heure suivant. Paul et Blanche échangèrent un regard d’inquiétude. Ils voulaient être de la fête. A sept heures et demie, Emilie, la gorge nouée par leur déconfiture, leur demanda de monter.
«Je le savais», dit Paul, tristement.
Blanche, elle, se contenta de refouler ses larmes. Emilien, Marie-Ange et Rose montèrent à leur tour. Émilie tenta de diminuer leur déception en leur disant que leur père avait dû être retenu par quelque chose de très important.
«Ouais, on se doute de quoi», avait dit Marie-Ange en mordant dans ses mots pour être certaine que sa mère comprendrait son sous-entendu.
«Marie-Ange, j’aime pas ce que tu penses!
— Moi non plus, j’aime pas ce que je pense. Bonsoir, moman. »
Émilie avait été tellement étonnée par la réplique de sa fille qu’elle n’ajouta pas un seul mot, se contentant de froncer les sourcils et de lui indiquer la direction de sa chambre. Quand elle fut certaine que les enfants dormaient, elle commença à faire les cent pas. Puis les mille pas. Elle rageait. Elle rageait tellement qu’elle imagina toute la conversation qui suivrait le retour d’Ovila. Oh! qu’elle lui dirait! Elle lui dirait toute la peine qu’il avait faite aux enfants. Elle lui dirait qu’il venait de perdre six amis, sept avec elle. Oh! qu’elle lui dirait!
Elle marchait encore d’un pas si lourd de rage qu’elle ne l’entendit pas arriver. Il ouvrit la porte. Elle sursauta. Elle se retourna, la colère collée aux lèvres, les yeux rouges de fatigue et du chagrin de tous ses enfants. Elle inspira profondément car elle savait que la première phrase qu’elle dirait serait aussi longue que toute son attente.
«Emilie, viens voir! Viens voir ce que j’ai acheté pour Télesphore!»
Elle gela sur
Weitere Kostenlose Bücher