Les Filles De Caleb
d’enfiler jupon et robe et se couvrit les épaules d’un lourd châle de laine qu’elle avait crocheté. Elle s’assit devant un miroir pour coiffer sa longue chevelure rebelle et couleur d’acajou. Elle commença à façonner un chignon, coiffure qu’elle avait adoptée depuis qu’elle enseignait, puis, ses pensées de la veille faisant surface, elle le dénoua presque rageusement et entreprit de se faire des tresses. De simples tresses de «sauvageonne» comme aurait dit son père. Elle s’en amusa. Pour colorer la jeunesse dont elle s’affublait, elle noua deux énormes rubans blancs aux extrémités de chacune des nattes. Elle se sentit ragaillardie, descendit dans la classe et gavage poêle gourmand, regrettant aussitôt son geste irréfléchi. Si son père arrivait, ils ne pourraient partir avant que les bûches ne soient réduites en braise,, ce qui, avec la quantité qu’elle venait d’utiliser, prendrait plusieurs heures. Son père ne lui pardonnerait jamais une telle imprévoyance. Le poêle gronda. Elle ouvrit la clé de façon à accélérer le processus de combustion. Le poêle ragea et le tuyau laissa paraître quelques signes de suffocation. Emilie prit peur. Elle referma la clé. Le poêle s’assagit puis ronronna. Émilie mit l’eau du thé à bouillir, le cœur encore agité par sa soudaine frousse. Elle remonta dans ses locaux pour manger le peu qu’elle avait pu trouver — elle n’avait pas, la veille, fait de pain comme elle se l’était promis — et maugréa contre le fait qu’elle n’avait pas encore de poêle au second étage. Elle ne trouvait pas normal d’être sans cesse obligée de faire la navette dans les escaliers chaque fois qu’elle devait manger. De plus, installée de cette façon, elle consommait beaucoup plus de bois. Il lui fallait chauffer et la classe et ses locaux. Avec un second poêle, elle aurait pu se contenter de chasser l’humidité de la classe, chauffer sa chambre et y cuisiner. Elle se promit d’écrire encore une fois aux commissaires afin de leur demander quand ils prévoyaient compléter l’installation. Ils en avaient convenu. Ce genre de démarche lui déplaisait souverainement. Elle craignait de donner l’impression d’être plaignarde ou difficile.
Le soleil avait depuis longtemps terminé son ascension vers son sommet hivernal. Il s’arrêta, l’instant de reprendre son souffle, avant d’entreprendre sa descente. Émilie était clouée à sa berceuse, le nez presque collé à la fenêtre. Toutes les cinq minutes, elle se levait, grattait le givre fraîchement cristallisé et regardait la route du village. Rien à l’horizon brouillé par la poudrerie. Elle se rassoyait en soupirant. De temps en temps, elle se résignait à aller mettre une nouvelle bûche dans le poêle, se disant chaque fois que c’était la dernière.
À deux heures de l’après-midi, on frappa à la porte. Elle savait que ce n’était pas son père. Elle ouvrit. C’était Edmond Pronovost. Elle s’étonna de le voir et lui en fit la remarque.
«C’est moi qui vas venir chauffer pendant vos vacances. Sauf que nous autres on était sur l’impression que vous étiez partie à matin. Votre père est pas encore venu ?»
Elle invita Edmond à entrer. Il préféra n’en rien faire, la salua et lui promit de revenir chauffer le poêle matin et soir. Émilie referma la porte et retourna à son point d’observation. Les traces de pas qu’Edmond creusait dans la neige lui donnaient l’impression de courir derrière lui sans parvenir à le rejoindre. Elle devina qu’il était maintenant entré chez lui.
«Cré Bon Dieu, Edmond, dit Dosithée, tu as fait ça vite. -
— Mam’selle Émilie était là. Son père est pas encore arrivé», répondit Edmond.
Dosithée fronça les sourcils, étonné d’apprendre qu’Emilie était toujours à l’école. Il lui avait semblé la voir partir avec son père tôt le matin. La poudrerie l’avait empêché de bien distinguer les passagers du traîneau qu’il avait cru appartenir à monsieur Bordeleau. Il regarda l’heure et claqua de la langue. S’il avait été monsieur Bordeleau, il aurait sûrement été inquiet de savoir sa fille seule dans une petite école perdue sur un rang balayé par le vent. Il regarda Félicité et souleva les sourcils en pinçant les lèvres. Voyant qu’elle avait accroché son regard, il haussa les épaules en pointant l’école de sa tête. Félicité, occupée à
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