Les Filles De Caleb
de bois qu’ils espéraient obtenir après les Fêtes.
Emilie, par politesse, se sentit obligée de suivre la conversation. Ils avaient l’ait une halte à Saint-Séverin et s’étaient informés pour savoir si monsieur Bordeleau n’était pas passé. On leur répondit qu’il était retourné chez lui changer d’attelage et que personne ne l’avait revu depuis.
Ils avaient quitté le village depuis peu lorsqu’ils aperçurent les fanaux d’un traîneau. Emilie s’avança sur le siège, le dos bien droit, et essaya de voir qui dirigeait l’attelage.
«C’est mon père! C’est mon père avec mon oncle!»
Dosithée immobilisa sa carriole et Ovide se leva pour laisser descendre Emilie. Elle sauta à terre, soudain très animée. Elle se plaça au centre de la route, agita les bras tout en criant qu’elle était là. Caleb stoppa.
«Veux-tu bien me dire, Émilie, ce que tu fais ici en plein milieu du chemin à gigoter comme un chien attaché?» lui cria-t-il à son tour.
Elle n’eut pas le temps de répondre qu’Ovide était derrière elle portant son bagage, suivi de Dosithée. Émilie s’empressa de faire les présentations. Les deux pères se serrèrent une main que ni l’un ni l’autre ne sentit tant elles étaient emmitouflées sous d’épaisses mitaines. Caleb ne cessa de les remercier. Il se disait soulagé de savoir que sa fille avait de si bons voisins. Il lui demanda si elle avait reçu son message, puis invita les Pronovost à venir prendre une bonne nuit de sommeil à Saint-Stanislas. Dosithée refusa, disant qu’il préférait retourner tout de suite à Saint- Tite. Il ne voulait pas inquiéter inutilement sa femme. Caleb approuva. Ovide, par contre, manifesta le désir d’accepter l’invitation, mais il savait son père inflexible. Toute la conversation ne dura que quelques minutes et bientôt Dosithée fit demi-tour, suivant les indications de Caleb. Dès que la carriole eut terminé son changement de direction, Caleb dirigea les manœuvres de son frère. La route était étroite et il craignait que le traîneau ne verse dans le fossé. Par mesure de prudence, Dosithée attendit que le traîneau soit bien en place avant de les saluer et de leur souhaiter de joyeuses Fêtes.
Émilie ne se retourna qu’une fois pour les saluer de la main. Elle se concentra ensuite sur la route devant elle. Si elle avait été particulièrement silencieuse depuis Saint-Tite, elle reprit rapidement le temps perdu, s’informant d’abord de l’accident, puis racontant à son père et à son oncle tout ce qui s’était passé depuis le début novembre. Caleb, qui ne tenait pas l’attelage, s’amusait de ce qu’elle racontait et il se réjouit de constater qu’elle avait réglé le problème du grand Crête. Émilie lui répondit qu’elle avait peut-être réglé ce problème-là, mais qu’elle avait encore beaucoup de peine à accepter sa conduite à elle. Elle insista sur la chose en ajoutant que jamais elle ne se pardonnerait d’avoir agi aussi violemment. Caleb lui répondit lentement que la vie réservait souvent des surprises. Agréables ou non. Que parmi les plus désagréables il y avait toujours la surprise de découvrir qu’on ne se connaissait pas toujours bien soi- même. Il lui demanda si elle se rappelait la scène qu’ils avaient eue à propos du service des filles à table. Elle lui répondit qu’elle ne s’en rappelait que trop bien. Alors, sur un ton de confidence que même son frère ne parvint pas à entendre, Caleb raconta à Émilie que ce soir-là, il s’était vu d’une nouvelle façon et qu’il n’avait pas aimé l’image. Elle lui prit le bras et serra très fort. Il conclut sa confidence en lui disant que maintenant qu’elle avait dix-sept ans, elle pouvait comprendre. Émilie l’embrassa, en riant. Elle avoua qu’elle pensait qu’il avait oublié son anniversaire. Il lui tapota la joue en la rassurant.
«Penses-tu vraiment qu’un père peut oublier la fête de son premier enfant?
— Non...mais des fois, vous êtes tellement distrait...
— Tu as peut-être raison. En tout cas, ta mère va penser ça quand elle va voir le traîneau. Elle va penser que j’ai oublié d’aller te chercher.»
Ils rirent tous les deux de cette boutade. Caleb était occasionnellement très distrait. Sa grande distraction, celle qui faisait encore les frais des fêtes de famille, était celle où il avait oublié Célina au village. Il
Weitere Kostenlose Bücher