Les Filles De Caleb
grand mais ne trouva rien. Elle se leva et regarda par la fenêtre. Chez les Pronovost, elle vit de la lumière dans rétable. Elle redescendit dans sa classe, rangea quelques papiers, ouvrit et referma ses tiroirs sans rien y chercher de particulier et retourna à la fenêtre. L’étable était maintenant noire. Émilie regarda l’heure. Six heures et demie. Les Pronovost devaient tous être à table. Elle se convainquit qu’elle devait avoir faim et grignota un croûton de pain. Son estomac l’accepta. Elle marcha de long en large, se demandant comment elle pourrait bien occuper cette soirée naissante. Elle n’avait plus envie de lire. Elle n’avait plus envie de penser. Elle n’avait plus envie d’être seule. Elle se dirigea vers la planche à clous, enfila ses couvre-chaussures, prit son manteau et son châle, s’emmitoufla et sortit. Le froid s’était calmé lui sembla-t-il. Elle regarda la route à sa gauche puis à sa droite et opta pour une promenade vers la gauche. Elle voulait éviter de marcher en direction de la maison des Pronovost. Elle commença à faire chanter la neige sous ses pas. Au son qui lui parvint aux oreilles, elle comprit qu’elle marchait lentement en se tramant les pieds. Elle accéléra le pas. Elle marchait ainsi sans but depuis un bon quart d’heure quand elle prit conscience que c’était la première fois depuis septembre qu’elle sortait ainsi, sans raison. Sans emplettes à faire. Sans messe à laquelle assister. Elle regarda autour d’elle, huma l’air frais et rebroussa chemin. Elle passa devant l’école, s’assura qu’il y avait de la lumière chez les Pronovost et s’y dirigea sans réfléchir. Ovide lui ouvrit la porte. Elle avait frappé discrètement, espérant qu’on n’entendrait pas. Mais on avait entendu.
«Bonsoir, mam’selle. Entrez donc.
— Bonsoir, Ovide. Je voulais juste prendre des nouvelles de Lazare.
— Entrez donc quand même. On n’est pas pour rester la porte ouverte.»
Elle entra mais refusa d’enlever son manteau. Rosée la salua et lui sourit. Emile était affairé à ses devoirs. Ovila sculptait un bout de bois. Tout avait l’air normal et pourtant Emilie sentit dans le regard des parents une tristesse qu’elle n’avait jamais vue. Félicité prit la parole.
«J’ai pas l’impression que Lazare va être à l’école demain.
— Je suis pas venue pour ça. Je voulais juste vous dire de pas vous gêner si vous avez besoin d’aide. »
Elle se trouva un peu ridicule, sachant qu’elle ne pouvait offrir grand-chose et qu’elle n’avait même pas été capable de leur ouvrir la porte quand ils étaient sortis de l’école.
«Bon bien, j’vas y aller si je veux être en forme demain.
— On vous remercie, mam’selle» dit Dosithée sans se lever pour l’accompagner.
Émilie s’en sentit blessée. Ovila abandonna son bout de bois et s’empressa de remplir la politesse que son père avait omise. Émilie le remercia, salua encore une fois à la ronde et sortit. Sitôt dehors, elle éclata en sanglots. Pourquoi lui en voulaient-ils?
Elle revint à l’école, se moucha à plusieurs reprises puis décida de dormir même si elle savait que sa fatigue ne s’était pas encore manifestée et qu’elle en aurait pour des heures à se tourner et à se retourner dans son lit.
Émilie se releva d’un bond, arracha les draps du lit. Elle avait vainement tenté d’y dormir mais elle n’y respirait que l’odeur de Lazare. L’odeur de la maladie. Elle s’enroula dans sa douillette et recommença pour la centième fois à revivre les événements de la journée. Lasse, elle appela désespérément le sommeil mais chaque fois qu’elle semblait tomber dans ses abîmes, elle sursautait et combattait l’engourdissement de sa lucidité. Elle se releva à plusieurs reprises, mettant chaque fois une bûche bien inutile dans le poêle. La maison des Pronovost avait rejoint les ombres de la nuit.
À son grand désespoir, elle vit poindre les rayons du soleil. Déjà! Une nuit blanche. Toute une nuit blanche. Sa première vraie nuit blanche pleine de pensées et non de réjouissances comme celles du temps des Fêtes. Elle se sentit faible. Comment pourrait-elle enseigner ce jour-là? Elle commença à se débarbouiller, essayant tant bien que mal d’effacer les traces d’insomnie et de trouble. Elle mangea heureusement de bon appétit, ce qui lui rendit quelques forces.
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