Les Filles De Caleb
élèves a des visites du diable de temps en temps, renchérit monsieur Lebrun.
— C’est que...je l’ai jamais su avant hier», plaida Emilie, tout de suite furieuse contre elle-même d’être tombée dans un piège aussi gros.
Madame Lebrun tendit un mouchoir à Marie qui pleurait encore plus, criant qu’elle ne voulait plus revenir dans cette école remplie de démons. Monsieur Lebrun tapota la joue de sa fille en lui disant qu’il arrangerait cela.
«Vous, la p’tite, vous êtes mieux de commencer à penser à une autre école, parce que moi, j’vas voir à ça. Des maîtresses de dix-sept ans qui pètent plus haut que le trou, qui se battent avec des grands gars comme Joachim Crête, qui affrontent le bedeau pis les sœurs du couvent en faisant une crèche de Noël quasiment plus grosse que celle de la paroisse, qui donnent à manger à des enfants pendant qu’ils sont supposés être chez eux — on vous a vue faire — qui se promènent toutes seules le soir — on vous a vue hier —
pour rencontrer on sait pas qui, des maîtresses d’école de même, on est capable de s’en passer. J’vas dans l’instant même voir les commissaires pis on va discuter de votre cas. Bonne journée.»
Il mit son chapeau et poussa sa femme et sa fille vers la porte. Marie pleurait maintenant franchement, consciente tout à coup qu’Emilie ne méritait pas toutes les accusations que son père avait portées. Elle avait toujours aimé Emilie... jusqu’à la crise de Lazare, jusqu’à ce qu’elle lui tire une oreille.
Monsieur Lebrun fit claquer la porte. Emilie en ressentit les vibrations jusque dans son estomac fragile. Les quatre enfants revinrent pour finir leur soupe, mais elle les retourna dehors, leur disant qu’elle préférait être seule, prétextant un soudain et violent mal de tête. Les enfants s’éloignèrent. Ils s’assirent tous les quatre sur la galerie de l’école, les fesses gelées sur les planches dures.
«Mam’selle Bordeleau pleurait, dit le premier.
— Si monsieur Lebrun l’a chicanée, je le croirais. Moi je le sais qu’il chicane fort parce qu’il reste à côté de chez nous, ajouta le second.
— C’est la faute à la grosse Marie. Ma mère m’a dit que les enfants comme elle, qui ont pas de frères pis de sœurs, ça donne toujours du trouble à tout le monde.»
Ils parlèrent ainsi jusqu’à ce que les autres enfants fussent revenus. La discussion prit de nouvelles proportions. Tout le monde, semblait-il, savait ce qui s’était passé. Personne, toutefois, ne voulut croire qu’Emilie avait pleuré. Ils disaient qu’il était inconcevable qu’une grande personne pleure pour si peu.
Émilie sonna la cloche. Les enfants entrèrent en silence, conscients de la fragilité de l’humeur de leur institutrice.
Ils s'assirent et prépareront leurs feuilles pour dessiner. Ils s'attaquèrent à leurs chefs-d’œuvre.
Emilie avait l’impression d’avoir repris sa ruche en mains. Elle fronça les sourcils à quelques reprises, lorsqu'elle vit des enfants tenter d’illustrer la crise de Lazare, ou dessiner d’horribles démons rouges à la fourche enflammée.
Absorbée par les couleurs et les formes, elle ne vit pas arriver les commissaires. La porte s’ouvrit et ils entrèrent dans la classe. Les enfants se turent. Monsieur Trudel prit la parole.
«Mam’selle Bordeleau, on est venus voir travailler les enfants.
— Faites comme chez vous», répondit Émilie. Elle savait que cette soudaine curiosité n’avait rien à voir avec le travail des enfants. Elle remarqua que monsieur Pronovost était absent. Monsieur Lebrun, par contre, était du groupe. Elle sentit ses mains trembler. Ses jambes aussi. Même si elle avait la conscience en paix, leur simple présence la rendait coupable de quelque chose qu’elle ignorait. Intérieurement, elle jetait tous les mauvais sorts possibles à monsieur Lebrun. Il ne la quittait pas des yeux, visiblement satisfait de tout le remue-ménage qu’il avait provoqué.
Les enfants avaient complètement cessé leurs travaux. Ovila Pronovost leva la main. Émilie lui donna la parole.
«Comment ça se fait que mon père est pas là?» demanda-t-il.
Monsieur Trudel se tourna vers monsieur Lebrun.
«Tu m’avais dit que tous les commissaires seraient ici...
— C’est que...j’ai pas eu le temps d’arrêter chez Dosithée, mentit monsieur Lebrun.
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