Les Filles De Caleb
Va donc chercher ton père, mon garçon, dit monsieur Trudel. On va l’attendre. »
Ovila ne se le fît pas répéter. Au passage, il tenta de rassurer Emilie en lui souriant, puis cassa volontairement son sourire en fixant monsieur Lebrun. Celui-ci se balançait sur ses jambes en tournant sa tuque dans ses mains.
Émilie pria les enfants de ranger leurs effets. Puis elle demanda aux commissaires s’ils avaient objection à ce que les enfants quittent l’école. Les commissaires se consultèrent des yeux et monsieur Trudel fit comprendre à Émilie que ce serait préférable. Émilie fit faire une prière aux enfants, leur donna congé de devoirs et de leçons «en l’honneur de la visite des commissaires» et les accompagna à la porte. Un des quatre dîneurs lui demanda à voix basse s’ils allaient la gronder. Émilie tenta de le rassurer en lui disant qu’ils venaient probablement pour lui dire qu’elle aurait enfin un poêle au second. Le jeune essuya la larme qui lui coulait sur la joue.
Les commissaires avaient pris place aux plus grands pupitres. Sans réfléchir, Émilie était allée s’asseoir au sien. Elle se trouva ridicule. Elle comprit néanmoins que monsieur Lebrun n’avait pas réussi à les convaincre tous qu’elle avait mal agi. Monsieur Pronovost, arrivé à la hâte, se demanda ce qu’ils faisaient là.
Monsieur Trudel prit la parole, expliquant à tous qu’Émilie avait giflé Marie Lebrun. Émilie eut le droit de s’expliquer, s’empressant de préciser qu’elle n’avait pas giflé Marie mais qu’elle lui avait tiré une oreille. Monsieur Lebrun l’interrompait sans arrêt, tentant de faire admettre les faits tels que rapportés par sa fille. Monsieur Pronovost n’avait mis que quelques minutes pour comprendre que la crise de Lazare avait été à l’origine de toute la querelle. Partagé entre l’humiliation d’avoir un fils atteint du grand mal et son sens de la justice, il prit la défense d’Émilie. Pendant vingt minutes, Lebrun essaya de noircir l’imago d’Emilie, l’accusant tantôt de nourrir quatre enfants, tantôt de demander aux élèves de fendre le bois, activités impardonnables pour une institutrice respectueuse des règlements. Le poids de la parole de Dosithée fit toutefois pencher la balance du côté d’Émilie. Furieux, monsieur Lebrun mit sa tuque et sortit de l’école. Monsieur Trudel lui demanda de revenir, mais Lebrun répondit qu’il n’avait pas de temps à perdre.
«À vous entendre parler, on dirait que vous êtes des enfants d’école qui essaient de faire plaisir à la maîtresse, simplement parce que c’est une belle créature. Pis ma fille à moi là-dedans?»
Les commissaires baissèrent les yeux. Dosithée, lui, refusa de le faire. Il sortit derrière Lebrun. Leurs paroles parvinrent aux oreilles d’Émilie et des commissaires restés dans l’école.
«Ta maudite fille peut bien aller péter dans les fleurs. Continue de la traiter comme si c’était une sainte, pis tu vas en faire un vrai p’tit diable à crigne brune.
— Toi, Dosithée Pronovost, c’est bien toi qui as un diable sous ton toit. Tu fais comme si ton Lazare était normal, même quand tu sais que c’est quasiment péché de l’amener à l’église le dimanche. Pis c’est quasiment péché de le laisser dans une classe. Des histoires à faire peur à tout le monde! Ma Marie a passé la nuit à faire des cauchemars.
— Pis mon Lazare, as-tu l’impression qu’il a dormi? Pis moi pis Félicité, as-tu l’impression qu’on a dormi? Pis la p’tite mam’selle Bordeleau, as-tu l’impression qu’elle a dormi elle avec? Le grand mal, c’est le grand mal! Ça fait pas mal rien qu’à la personne qui l’a. Ça fait mal à tout le monde autour. Surtout à ses parents. Ça fait que toi, mon escogriffe, tu es mieux de dire à ta fille de fermer sa grand’boîte... »
Lebrun lui assena un coup de poing sur la mâchoire. Dosithée, ébranlé, reprit ses esprits en quelques secondes et frappa Lebrun à son tour. Émilie et les commissaires se précipitèrent à l’extérieur de l’école, tentant vainement de les séparer. Monsieur Trudel, s’interposant entre les deux pères furieux, en fut quitte pour recevoir lui aussi un coup de poing.
«Torhieu! Vous allez vous calmer mes deux batêches!»
Il sauta sur le dos de Lebrun et lui tira les cheveux. Lebrun, enragé, tourna sur lui-même, forçant Trudel à
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